Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cannelées, toutes choses pour lesquelles il réclamait une « certitude plus que morale » ? Sans doute, des déductions partielles de Descartes, le principe d’inertie, celui de la conservation du mouvement doivent être comptés (bien que l’expression du second fût erronée) parmi les plus grandes conquêtes de la science : mais elles rentrent précisément dans le cadre que nous avons tracé plus haut. Leibniz s’est abstenu de toute construction déductive générale, tout en appliquant son principe de l’égalité de la cause et de l’effet, avec un merveilleux instinct scientifique, là où il était nécessaire, pour la découverte et la démonstration du principe de la conservation de la force vive. L’impuissance de la déduction pure éclate aussi dans l’œuvre de Kant. Kant, nous le verrons tout à l’heure, ne croyait pas à l’intelligibilité totale de la nature et il s’est appliqué à tracer une limite entre ce qui, dans la science, dérive de la déduction et ce qui est dû à l’expérience. Toutefois, il a été amené à trop présumer du pouvoir de la première. Ses formules se trouvent d’accord avec la science de son temps et avec les conséquences qu’un esprit de cette vigueur pouvait en tirer. Il arrive ainsi à déduire, comme faisant partie du concept essentiel de la matière, la gravitation proportionnelle aux masses et inversement proportionnelle aux carrés des distances ; mais la même déduction l’amène à établir une répulsion inversement proportionnelle au cube de la distance[1]. Cependant, c’est sans doute l’œuvre des métaphysiciens allemands de l’époque immédiatement postérieure qui offre la plus belle démonstration de la stérilité des spéculations aprioriques dans la science. Rien de plus instructif à cet égard (pour ne choisir qu’un petit nombre d’exemples particulièrement frappants) que les déductions de Schelling sur l’évaporation et la condensation de l’eau[2] et sur l’ellipse comme trajectoire des corps célestes[3], celles de Hegel sur la réflexion et la polarisation[4], sur la nature de la lumière[5], sur le ralentissement des oscillations du pendule sous l’équateur[6], sur l’acide carbonique que la

  1. Kant. Premiers principes, p. 54.
  2. Schelling. Werke. Stuttgart, 1856, vol. IV, p. 501.
  3. Ib., p. 271.
  4. Hegel. Vorlesunqen ueber die Naturphilosophie. Werke. Berlin, 1842, vol. V%, § 278.
  5. Ib., § 276.
  6. Ib., § 270.