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car quels sont les faits que pouvaient faire valoir les Jaïnas ou Démocrite ? Or, cette analogie est au contraire flagrante.

On peut même se demander si, à tout prendre, notre foi peut être plus forte que celle de ces anciens. Car nous voyons aussi des difficultés, des contradictions qu’ils ignoraient. D’après Lucrèce, les corps durs tels que le diamant, le roc, contiennent des atomes entrelacés, ceux des liquides sont ronds, alors que la fumée et la flamme sont composées d’atomes pointus, mais pas recourbés. Le lait et le miel ont des atomes ronds et polis, ceux de l’absinthe sont au contraire crochus ; de même les images plaisantes se transmettent par des atomes polis et les blessantes par des atomes présentant des aspérités[1]. Encore au xviie et au xviiie siècle physiciens et chimistes avancent des théories mécaniques qui nous paraissent stupéfiantes de hardiesse. Pour Lémery les acides sont composés de particules pointues[2], pour Boyle, les particules de l’air sont de petits ressorts[3], Boerhaave assimile les divers organes du corps humain à des pompes, des ressorts, des cribles[4]. Nous sommes, hélas ! fort loin de pouvoir présenter des explications aussi simples et aussi claires ; et nous sommes aussi forcés quelquefois de relever des désaccords. En effet, la concordance entre le rationnel et le réel ne saurait être complète. Si surprenant qu’il soit de constater qu’à l’aide de la méthode « statistique », les phénomènes irréversibles sont dans une certaine mesure explicables par le mécanisme (c’est là encore un exemple de ces concordances que nous venons de signaler), cette constatation n’a pas la portée qu’on est tenté de lui attribuer. Cette explication, en effet, fût-elle complète, ne nous satisferait pas. Car le mécanisme n’a pas de vertu explicative propre, il la tire tout entière du fait qu’il est une formule causale, qu’il est fondé sur l’identité. Or, nous ne pouvons, cela n’est pas douteux, satisfaire complètement notre tendance causale, notre besoin d’identité, car ce qu’il postule en dernier lieu, c’est l’anéantissement du phénomène.

D’ailleurs, si la concordance était complète, si la nature était, en effet, entièrement explicable, intelligible, elle devrait

  1. Lucrèce, l. II, v. 388 ss..
  2. Duhem. Le mixte, p. 20. — Cf. Kopp. Geschichte, vol. III, p. 31.
  3. Ib., p. 28.
  4. Dastre. La vie et la mort, p. 32.