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nature[1] ». Hertz, au début de sa mécanique, déclare que d’une manière générale, pour que nous puissions nous former des images des choses, il faut que les conséquences logiques de ces images soient encore des images des conséquences que les choses produisent réellement dans la nature. Il faut donc qu’il y ait des concordances entre la nature et notre esprit[2].

C’est par conséquent à tort que tout à l’heure nous avons traité les hypothèses causales de simple instrument de recherche, d’hypothèses « de travail ». Elles sont plus qu’un échafaudage destiné à disparaître quand l’édifice est construit, elles ont leur valeur propre, elles correspondent certainement à quelque chose de très profond et de très essentiel dans la nature même.

Ainsi, et cela est très important à constater, l’accord entre les postulats de notre esprit et les phénomènes dépasse la légalité pure. La nature ne se montre pas seulement ordonnée, mais aussi, jusqu’à un certain point, réellement intelligible. C’est un point de vue qui a été parfois méconnu. Spir lui-même, quoiqu’il ait sur bien des points reconnu clairement l’action du principe d’identité dans la science et qu’il en ait déduit l’atomisme et les principes de conservation, a insisté d’autre part sur le fait que l’ordre des phénomènes seul, et non pas un objet réel, ni une pluralité d’objets, reste immuable dans le monde et que l’explication scientifique aura atteint son dernier but par la détermination des lois[3].

On a quelquefois affecté de voir dans l’atomisme de la science contemporaine une sorte d’accident historique ; c’est assurément une erreur, l’atomisme tient au plus profond de notre esprit. Il est certain que les concordances que nous découvrons entre ces théories et les résultats des expériences fortifient la prise qu’elles ont sur nous ; mais notre foi ne repose pas exclusivement sur cet accord, elle lui est antérieure. Si on le méconnaît, ou est amené à nier toute analogie entre les théories atomiques modernes et celle des anciens,

  1. Boltzmann. Ueber die Unentbehrlichkeit der Atomistik. Wiedemann’s Annalen, vol. LX, 1897, p. 243. Cf. aussi id. Leçons sur la théorie des gaz, trad. Galotti et Bénard, IIe partie. Paris, 1905, p. VIII.
  2. H. Hertz. Gesammelte Werke. Leipzig, 1895, vol. I, p. 1.
  3. Spir, l. c., p. 225, 271. C’est probablement parce qu’il croyait que ces déductions pouvaient être complètes, qu’il n’y entrait que des éléments aprioriques, que, la confirmation par l’expérience lui paraissant inutile, l’accord entre celle-ci et notre raison ne le frappait pas.