Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles ont fait et font pousser sans cesse une moisson prodigieuse de découvertes de la plus haute valeur. Là même où les savants ne croient d’abord qu’à une similitude tout à fait superficielle, des recherches subséquentes font découvrir quelquefois, de la manière la plus inattendue, une analogie plus profonde. Que l’on se rappelle avec quel scepticisme fut accueillie d’abord l’hypothèse de Kékulé sur la structure des composés de carbone et la position des atomes dans la molécule ; alors même qu’il était démontré que cette représentation expliquait admirablement une immense série de phénomènes qui constituaient jusque-là une sorte de brousse impénétrable, elle paraissait à beaucoup intolérablement grossière. Et pourtant quelle étonnante extension et vérification à la fois de ces théories, que les découvertes de MM. Le Bel et Van’t Hoff sur l’atome de carbone dissymétrique[1] ! Qui ne serait émerveillé de voir le rôle des hypothèses atomiques dans les récents progrès de l’électricité et comment, par les travaux de M. Svante Arrhénius, la chimie vient s’y rattacher ? Et n’est-il pas surprenant de constater que la plupart des phénomènes irréversibles qui pourtant, par leur essence, semblent échapper aux explications causales, paraissent pour ainsi dire calqués sur un phénomène mécanique, le frottement, au point que les physiciens soient arrivés à la conviction qu’il y a là plus qu’une simple analogie, quelque chose qui révèle la nature intime de ces phénomènes[2]. Nous venons de citer uniquement des exemples récents, presque contemporains, mais il y en avait autant dans le passé, témoin, pour ne mentionner que ce cas illustre, les prévisions si brillamment réalisées qu’on avait déduites de la théorie de Fresnel[3].

De même l’histoire des sciences nous montre que, grâce aux conceptions atomiques, l’humanité a réellement pressenti certaines vérités scientifiques importantes, qu’elle a développé une sorte de prescience. Quand les atomistes grecs affirmaient que l’air comme tout autre corps devait être com-

  1. M. Van’t Hoff a rappelé, avec un juste orgueil, que M. Émile Fischer, dans ses recherches qui ont abouti à la synthèse du glucose, était guidé par des considérations sur la stéréochimie (Revue générale des sciences, V, 1894, p. 272). On sait d’ailleurs que cette théorie a été appliquée récemment aussi à l’azote pentavalent et à l’étain et au soufre quadrivalents.
  2. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 208.
  3. Cf. Duhem. La théorie physique, p. 43.