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que les anathèmes de Comte contre la théorie de l’ondulation, etc., tiennent réellement au fond de sa doctrine.

Les principes du positivisme ou, en tout cas, des principes analogues ont été depuis, du moins en apparence, adoptés par nombre de savants qui souvent ont tenu à protester, comme Comte, contre les théories atomiques ; mais en réalité, et en dépit de l’appui qu’a apporté à cette tendance la grande et légitime autorité de M. Mach, elle reste aujourd’hui, comme elle l’a été dans le courant du xixe siècle, sans la moindre influence sur la marche de la science. Les savants du commencement du xxe siècle continuent à édifier des théories atomiques tout comme l’ont fait leurs prédécesseurs. Tous sans doute ne croient pas à la vérité des théories qu’ils imaginent ou qu’ils suivent ; mais tous croient à leur utilité. Ils y voient, faute de mieux, un instrument de recherche de grande valeur, une « hypothèse de travail ». C’est un rôle extrêmement important. Bacon a cru que l’on pouvait parvenir à des découvertes scientifiques par des procédés d’induction pour ainsi dire mécaniques ; il s’est donné infiniment de peine pour élaborer des schémas très détaillés dont l’emploi devait laisser « peu d’avantage à la pénétration et à la vigueur des esprits », les rendant au contraire « tous presque égaux[1] ». Que certaines règles dont Bacon a précisé l’énoncé (comme par exemple celle des variations concomitantes) soient utiles dans les raisonnements scientifiques, cela est incontestable ; mais ses schémas, on peut hardiment l’affirmer, n’ont jamais été employés d’une manière suivie par un savant digne de ce nom, et en tout cas aucune découverte scientifique, grande ou petite, n’est due à leur application[2].

  1. Bacon. Novum organon, l. Ier, Aph. 61. — Il est très curieux d’observer que, tout comme Comte et évidemment pour des raisons analogues, Bacon s’est étrangement trompé dans son jugement sur de grandes conquêtes de la science. Ainsi il a vivement blâmé Copernic (Glob. int., chap. vi), et Gilbert, dont les travaux sur l’électricité sont un véritable monument de l’esprit scientifique le plus pur, était sa bête noire (Novum org., I, § 54, II, Aph. 48). — Bien entendu nous ne pensons nullement à attribuer à Aug. Comte, en cette question, des opinions analogues à celles de Bacon. Au contraire, Comte a constamment insisté sur la nécessité de l’hypothèse ; l’empirisme absolu, d’après lui, est « non seulement tout à fait stérile, mais même radicalement impossible à notre intelligence » (Cours, vol. VI, p. 471). Il n’a protesté que contre les hypothèses qualifiées par lui de « métaphysiques ». Mais cette attitude, quoique moins absolue que celle de Bacon, a suffi pour l’entraîner à des erreurs du même genre.
  2. M. Rosenberger, Geschichte, II p. 194, constate le peu d’influence réelle de Bacon sur la marche de la science. Boyle semble s’être quelquefois