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affranchis, que nous étions toujours dominés par le besoin « métaphysique[1] ».

Bien entendu, selon la théorie du sens commun que nous avons exposée plus haut, ce besoin non plus n’a rien de mystérieux ai de primordial. C’est simplement une expression de la tendance à voir nos sensations persister dans le temps. Or, elles varient sans cesse ; et cela nous paraît déraisonnable. Il faut qu’elles demeurent, et comme elles ne peuvent demeurer en nous, nous les logeons au dehors, nous créons peut-être même le dehors pour les y loger. Que si maintenant, par l’intervention de la science, cette première série d’objets créés est démontrée contradictoire, inexistante, il nous faut aussitôt en créer d’autres. En effet, nos sensations ne peuvent pas subsister par elles-mêmes, indépendamment, car leur variation dans le temps serait sans cause ; il faut donc créer cette cause, cause permanente, et si ce ne peuvent être les objets doués de qualités du sens commun, ce seront les atomes et les électrons. C’est là ce qui achève de nous convaincre que le savant ne pourra jamais se dégager de l’objet, qu’il ne pourra que remplacer une réalité par une autre, un peu moins illogique, mais tout aussi chimérique au fond et destinée d’ailleurs à sombrer à son tour dans l’abîme de l’enfer ou plutôt de l’espace non différencié.

Que si, au contraire, le savant arrête ses déductions causales ou qu’il les écarte complètement de la science, il en résultera tout simplement que la conception du sens commun restera debout, conception tout aussi métaphysique que n’importe quelle autre, mais dont, en outre, l’inconsistance complète éclate au moindre raisonnement scientifique. Retranchons toute hypothèse atomique et mécanique d’un chapitre déterminé de la science. Il reste des lois, c’est-à-dire l’énoncé de rapports, non pas entre des phénomènes de notre conscience, mais entre des objets matériels, c’est-à-dire entre des images causales. Nous n’aurons donc absolument rien gagné, au point de vue philosophique, à éliminer la « métaphysique » des théories, ni à donner à ces dernières, par des artifices plus ou moins compliqués, une forme telle que leur contenu méta-

  1. Hartmann (l. c., p. 14 ss.) constate malicieusement avec quelle déplorable aisance les philosophes idéalistes, même au cours de leurs raisonnements en apparence les plus abstraits, retombent dans le réalisme.