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luloïd une bande lumineuse dont l’observateur suit les mouvements ; voilà bien sans doute une expérience ; au moyen du va-et-vient de cette tache lumineuse, ce physicien observe minutieusement les oscillations du morceau de fer. Demandez-lui maintenant ce qu’il fait ; va-t-il vous répondre : J’étudie les oscillations du barreau de fer qui porte ce miroir ? Non, il vous répondra qu’il mesure la résistance électrique d’une bobine. Si vous vous étonnez, si vous lui demandez quel sens ont ces mots et quel rapport ils ont avec les phénomènes qu’il a constatés, que vous avez constatés en même temps que lui, il vous répondra que votre question nécessiterait de trop longues explications et vous enverra suivre un cours d’électricité[1]. » Quiconque a la moindre notion des recherches physiques reconnaîtra immédiatement que cette description, scrupuleusement exacte, caractérise un cas tout à fait général ; non seulement les expériences sur l’électricité, mais à peu près toutes les expériences de physique exécutées dans un laboratoire contemporain sont de ce type. Toutes resteraient lettre close pour l’homme qui ne serait pas au courant du chapitre spécial de la physique auquel elles se rapportent, si grande que fût la peine qu’il se donnât pour les observer. M. Duhem établit, avec beaucoup de rigueur, que l’interprétation théorique que le physicien fait subir aux phénomènes rend seule possible l’usage des instruments[2]. Il en conclut qu’entre les phénomènes réellement constatés et le résultat d’une expérience formulé par un physicien s’intercale une élaboration intellectuelle très complexe[3]. En résumé, « une expérience de physique n’est pas simplement l’observation d’un phénomène ; elle est, en outre, l’interprétation théorique de ce phénomène[4] » et, comme il est impossible même de rendre compte d’une expérience de physique sans user du langage théorique[5], « l’énoncé du résultat d’une expérience implique, en général, un acte de foi en tout un ensemble de théories[6] ».

  1. Duhem. La théorie physique. Paris, 1906, p. 234-235.
  2. Ib., p. 248.
  3. Ib., p. 247.
  4. Ib., p. 233.
  5. Ib., p. 266-267.
  6. Ib., p. 300. Lavoisier déjà constatait « l’impossibilité d’isoler la nomenclature de la science et la science de la nomenclature ». (Traité élémentaire de chimie, Œuvres. Paris, 1864, vol. I, p. 2). La nomenclature de Lavoisier est évidemment l’expression d’une théorie.