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Le physicien en effet commence par croire aveuglément, comme n’importe quel homme, aux conceptions du sens commun. Il les modifie dans la suite, mais comment les modifie-t-il ? Uniquement en procédant de réalité en réalité. Quand il a dissous le bâton en une nébuleuse d’atomes ou, si l’on veut même, d’ions électriques, ces atomes ou ces ions sont pour lui aussi réels que l’était le bâton ; il n’a, en effet, jamais « réduit » que de substantif en substantif, d’objet en objet. À aucun moment, à moins qu’il ne s’agisse d’ « erreurs d’observation », ou de phénomènes expressément qualifiés de « subjectifs », le physicien, ne fera intervenir la considération du sujet. À aucun moment il ne substituera, dans le cours de ses déductions, à un objet quelque chose de manifestement, de sciemment irréel[1]. « Demandez à votre imagination, s’écrie Tyndall, en parlant des hypothèses sur la nature de la lumière, si elle voudra accepter le concept d’une proportion multiple en vibration[2] » et Hartmann déclare que seuls les habitants d’un asile d’aliénés pourraient tenter des explications physiques à l’aide de concepts sciemment irréels[3].

Mais cette question nous paraît tellement importante, il nous semble à tel point essentiel qu’il ne reste, dans l’esprit du lecteur, aucun doute à ce sujet, que l’on nous permettra d’insister un peu plus longuement. Aussi bien la matière a-t-elle été admirablement élucidée par M. Duhem et, si nous ne pouvons toujours adopter les vues de l’éminent savant, du moins nous aiderons-nous constamment de son analyse.

Voici en quels termes M. Duhem décrit une expérience de physique : « Entrez dans ce laboratoire ; approchez-vous de cette table qu’encombrent une foule d’appareils, une pile électrique, des fils de cuivre entourés de soie, des godets pleins de mercure, des bobines, un barreau de fer qui porte un miroir ; un observateur enfonce dans de petits trous la tige métallique d’une fiche dont la tête est en ébonite ; le fer oscille et, par le miroir qui lui est lié, renvoie sur une règle en cel-

  1. La manière de voir que nous développons dans le texte apparaît comme l’exacte contre-partie de l’opinion de Spir, d’après laquelle la science procède de changement en changement, mais n’arrive jamais à un véritable objet (Pensée et réalité, p. 98-99). Cependant la divergence est, semble-t-il, dans les termes plus que dans le contenu réel des deux thèses. Mais Spir, sans doute, a été influencé par la confusion qu’il commet entre la légalité et la causalité.
  2. Tyndall. Fragments of Science. Londres, 1871, p. 136.
  3. Hartmann, l. c., p. 22.