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le mécanisme ressemble encore en ceci au sens commun que, comme l’a admirablement senti Renouvier[1], réduisant le sensible à certains éléments, les plus abstraits de tous, tels que le mouvement, la résistance, la pénétrabilité, éléments mal déterminés sans doute, mais dont le concept ne s’en constitue pas moins d’une manière à peu près semblable chez tous les hommes, il devient par là un moyen de faciliter les communications, une sorte de « sens commun scientifique ».

Ce que nous avons exposé au sujet de la genèse des notions du sens commun nous fait comprendre mieux encore la vanité de l’effort qui tend à exclure la causalité de la science. Quel devrait être le point de départ d’une science strictement conforme au précepte de Comte et de M. Mach, c’est-à-dire uniquement inspirée par le principe de légalité, faisant abstraction, pour parler avec Renouvier, au profit d’un phénomisme absolu de toute conception substantialiste ? Il faudrait apparemment partir de nos sensations car, M. Mach nous le dit lui-même : « Ce ne sont pas les choses, mais les couleurs, les sons, les pressions, les espaces, les durées (ce que nous appelons d’habitude des sensations) qui sont les véritables éléments du monde[2]. » À dire vrai, il faudrait aller plus loin encore et prendre pour point de départ ces « données immédiates de la conscience » que M. Bergson a réussi à dégager. Est-ce ainsi que procède la science ? En aucune façon. Elle laisse tout d’abord complètement de côté ce problème ; quand elle en parle, c’est pour en réserver la solution à une de ses branches les plus tardives et les plus complexes, la physiologie ; parfois aussi pour l’écarter complètement en le déclarant d’essence métaphysique. Le point de départ de la science est au contraire uniquement dans les données du sens commun, cela est facile à constater, et d’éminents savants l’ont d’ailleurs expressément déclaré. M. Duhem estime que « nos connaissances scientifiques les plus sublimes n’ont pas, en dernière analyse, d’autre fondement que les données du sens commun[3] » et M. Mach nous avertit que « le savant, pour le travail courant (den Handgebrauch), ne saurait se passer des conceptions de substance les plus grossières[4] ».

  1. Renouvier. Critique philosophique, IX, p. 349.
  2. E. Mach. La mécanique, trad. É. Bertrand. Paris, 1904, p. 451.
  3. Duhem. L’évolution de la mécanique, p. 179.
  4. Mach. Die Principien der Waermelehre. Leipzig, 1896, p. 429.