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concept compliqué, à l’élaboration duquel tous nos sens participent, en premier lieu, du moins chez les hommes normaux, la vue et le toucher. Nous n’avons aucunement l’intention de tenter une déduction complète de ce concept à l’aide de la sensation seule ; peut-être cela n’est-il pas possible, car il n’est pas bien certain que, le concept de matière se liant intimement à celui d’espace, il n’y ait pas là des éléments purement aprioriques, tenant à la constitution même de notre raison. Mais l’analyse à laquelle nous nous sommes livré (p. 317 ss.) montre clairement, à notre avis, qu’entre le concept de quantité matérielle et nos sensations qualitatives correspondantes le rapport est analogue à celui qui relie le concept de vibration lumineuse à la sensation de couleur ou celui de vibration sonore à la sensation du son.

Nous laisserons complètement de côté, comme étant en dehors de notre sujet, la question de savoir comment, à cette image du monde extérieur résultant de notre sensation, ou de notre représentation pour parler avec Schopenhauer, se rattache celle que nous pouvons déduire de notre volonté. Même si l’on postule que celle-ci est primordiale et que notre conception du non-moi vient primitivement de la supposition d’un vouloir étranger au nôtre, ou que l’on adopte même, pour l’origine première du concept du non-moi, telle hypothèse métaphysique que l’on voudra, notre démonstration reste debout dans ses lignes essentielles. Il suffit, en effet, que l’on reconnaisse que le sens commun constitue le concept d’un objet présent à l’aide de sensations hypostasiées plus ou moins transformées et que, par conséquent, le concept d’un objet absent est constitué des mêmes sensations dont on suppose la persistance.

Dès lors, en effet, il devient évident qu’en formant ces concepts des objets extérieurs selon le système du sens commun, notre entendement n’a pas suivi d’autres règles que celles que nous lui avons reconnues en scrutant les procédés de la science. C’est toujours le principe de causalité, la tendance à voir, par besoin d’explication, toutes choses persister sans changement ; c’est aussi, pour répondre à ce besoin, le même procédé de substitution d’une cause quantitative à la sensation qualitative[1].

  1. Nous croyons que c’est le sentiment plus ou moins conscient, mais très puissant, de cette analogie qui se retrouve au fond des affirmations de la continuité du sens commun et de la science. Mentionnons surtout, dans