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se modifier que si le système reçoit de l’énergie de l’extérieur : telles sont la masse, la quantité de mouvement, la quantité d’électricité. Le principe de la conservation de la matière cesse de paraître, comme jusqu’à ce jour, un énoncé primordial de la science et devient un cas particulier de la conservation de ces grandeurs que M. Ostwald appelle les « capacités[1] ».

Il faut reconnaître que le système de M. Ostwald est par certains côtés extrêmement séduisant. La déduction des « capacités », ce concept général qui paraît embrasser tout ce qui, dans les phénomènes, doit se conserver, ce procédé qui permet de le prévoir a priori, nous inclinent, à première vue, à supposer que nous avons réellement surpris un des secrets fondamentaux de la nature, peut-être le principe le plus général qui la dirige. À regarder de plus près, de graves doutes surgissent.

Faisons abstraction de l’étonnement qu’on éprouve à voir déduire l’immutabilité de l’espace, — notion que nous sentons sinon antérieure, du moins simultanée à l’origine même de toute expérience, — d’une conception aussi compliquée que l’énergie de volume, c’est-à-dire, en dernière analyse, de la conservation de l’énergie. Ce n’est peut-être pas là une affirmation qui tienne essentiellement au système et M. Ostwald pourrait l’abandonner sans que sa théorie fût mise en danger. Considérons le fondement même du système, le concept de l’énergie et le principe qui en énonce la conservation. C’est là, nous l’avons vu, pour M. Ostwald, quelque chose qui domine et détermine l’expérience entière. Cependant, il n’entend pas que ce principe soit a priori (en quoi il a évidemment raison), mais lui assigne une origine empirique[2]. Il faudrait alors au moins, semble-t-il, que ce fût une constatation d’expérience continue et journalière, qu’elle eût été faite de tout temps. Or, nous l’avons vu, elle est toute récente ; à aucun moment, avant le xviie siècle, non seulement nul ne l’énonça (contrairement à ce qui eut lieu pour la conservation de la matière) mais nul n’en eut même le pressentiment ; et la formule en est si malaisée à connaître que, quand elle fut énoncée pour la première fois (par Descartes), ce fut d’une manière erronée. À l’heure actuelle même,

  1. Vorlesungen, p. 281-282.
  2. Ib., p. 173 et 186.