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tion d’un seul principe, l’énergie ; nous ne connaissons le monde que par nos sensations ; or, celles-ci ne sont autre chose que des différences d’énergie[1]. On peut subordonner tous les phénomènes au concept de l’énergie ; celle-ci seule les détermine tous[2]. Le concept de l’énergie englobe celui de cause[3]. L’espace même ne nous est connu que par la dépense d’énergie nécessaire pour le pénétrer[4]. Si nous le supposons immuable, si nous en postulons la conservation, c’est qu’il s’agit de la conservation d’une forme particulière de l’énergie, l’énergie de volume[5]. L’énergie est à la fois la plus générale des substances et le plus général des accidents[6]. Elle est une réalité, tandis que la matière est une invention « assez imparfaite d’ailleurs que nous nous sommes forgée pour représenter ce qu’il y a de permanent dans toutes les vicissitudes[7] ». Si l’on sépare l’énergie de la matière, celle-ci s’évanouit[8]. L’énergie est, en somme, à un degré bien plus grand que l’éther chez certains physiciens atomistes, l’élément ultime, le substrat unique de toute réalité. Il va sans dire que nous ne saurions songer à la décomposer réellement ; mais, dans notre idée, nous nous livrons bien à cette opération, puisque nous la décomposons en facteurs, de diverses manières. Certains de ces facteurs appartiennent à la classe que M. Ostwald désigne sous le nom de « facteurs d’intensité », tels que, par exemple, la vitesse ou la température. Ce ne sont pas de vraies grandeurs, puisqu’elles ne s’ajoutent pas les unes aux autres : deux corps de poids identique forment ensemble un corps de poids double, mais deux corps de même vitesse ou de même température ne fourniront qu’un corps de vitesse ou de température identique. M. Ostwald observe que si l’on divise l’énergie par un « facteur d’intensité » on arrive à des grandeurs qui demeurent constantes, c’est-à-dire qui ne peuvent

  1. Ostwald. La déroute de l’atomisme contemporain. Revue générale des sciences, VI, p. 956.
  2. id. Vorlesungen ueber Naturphilosophie, 2e éd. Leipzig, 1902, p. 152.
  3. Ib., p. 153.
  4. La déroute, p. 957.
  5. Vorlesungen, p. 285.
  6. Ib., p. 146.
  7. La déroute, p. 956. Il se peut que, sur ce point particulier, les idées de M. Ostwald se soient quelque peu modifiées, ainsi qu’il semble ressortir de passages que nous citerons dans la suite.
  8. Ib., p. 957.