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légalité seul, le souci permanent d’étendre les rapports entre les choses, suffit à motiver ce progrès. Mais il ne faut pas oublier que le point de départ, la théorie qualitative, est déjà une conception causale, en ce sens qu’elle stipule la persistance de quelque chose (qui est, en l’espèce, une sensation hypostasiée). En outre, ce progrès, qui aboutit à remplacer un concept causal par un autre, se fait aussi dans le sens de la causalité. En effet, chaque fois que nous passons d’une qualité à une quantité, nous nous éloignons de la sensation et lui substituons de plus en plus un concept hypothétique. Quand, au lieu du chaud et du froid d’Aristote, nous introduisons la chaleur, puis le fluide calorifique, nous avons déjà créé un concept fort abstrait ; ce fluide est très différent de notre sensation, puisqu’il crée en nous au moins trois sensations bien caractérisées : froid, chaud, brûlure. La différence s’accentue encore au moment où la chaleur devient un mouvement. Or, tous ces concepts n’ont et ne sauraient avoir avec notre sensation d’autre rapport que celui d’être une cause supposée de cette sensation. C’est donc en substituant à la sensation ce qui est censé être sa cause que le progrès s’est accompli. C’est aussi dans ce sens et non seulement parce qu’il ne s’arrête pas au devenir, mais prétend aussi expliquer la cause de l’être, que le mécanisme constitue une expression plus complète du principe causal.

Des conceptions analogues aux théories de la qualité constituent en très grande partie le fond d’un groupe de doctrines qui ont surgi dans la première moitié du xixe siècle. Cependant, les spéculations des Naturphilosophen allemands auxquelles nous faisons allusion ici se sont produites plutôt en marge de la science ; si elles ne sont pas restées absolument sans influence sur son développement, — il ne faut pas oublier qu’elles ont inspiré Œrsted auquel est due la découverte de l’électro-magnétisme, — elles n’ont, semble-t-il, à aucun moment, constitué de vraies théories scientifiques. Nous n’avons donc pas à les examiner à ce titre. Mais une autre théorie a été formulée récemment qui, tout en se rattachant par certains côtés à ces doctrines anciennes, est cependant d’essence vraiment scientifique. Le nom de son auteur, M. Ostwald, le célèbre théoricien de la chimie, suffirait seul à attirer l’attention sur ces conceptions, d’ailleurs remarquables à plus d’un titre.

Pour M. Ostwald, le monde extérieur constitue la manifesta-