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de volume défini, la même quantité pourra occuper n’importe quel volume. L’identité ici sera assurée non pas, comme pour l’atome, par la persistance des limites spatiales, mais par celle d’un signe d’intensité, primitivement fondé sur la considération d’une sensation — la même chaleur étant celle qui me paraît telle à l’attouchement — à laquelle nous substituons ensuite un concept dérivé, tel que celui basé sur l’échelle thermométrique. Dès lors, le discret ne s’impose plus.

Mais, bien entendu, toutes les théories qualitatives, quelque mitigées qu’elles soient, présentent le même inconvénient essentiel, c’est que le domaine de la qualité supposée paraît absolument délimité, entouré en quelque sorte d’un fossé infranchissable et hors de tout rapport possible avec le reste des phénomènes de la nature. Tant que la chaleur était un fluide et l’électricité un autre fluide différent du premier, aucune transition entre les deux n’était possible ; ou, pour être plus précis, on aurait pu se figurer à la rigueur que l’un se transformait dans l’autre par une sorte de réarrangement des molécules à peu près comme le phosphore blanc devient phosphore rouge, mais alors le fluide cessait d’être spécifiquement calorique, ce caractère devenant un attribut du mode d’arrangement de ses particules. En d’autres termes, le fluide n’était plus l’hypostase d’une sensation et la théorie cessait d’être qualitative. On croit parfois distinguer, au xviiie siècle, des idées de ce genre. Mais la science n’a conçu clairement les rapports entre les diverses formes de l’énergie que par la transformation de l’énergie mécanique en énergie calorique, etc. ; d’ailleurs, antérieurement déjà, la similitude entre la chaleur et la lumière d’une part et le mouvement vibratoire d’autre part était clairement établie ; la conception s’imposait donc, qu’il s’agissait partout, non pas d’arrangements, mais de modes de mouvement. Dans le même ordre d’idées, l’établissement de rapports nets entre les divers éléments chimiques conduirait directement à faire prévaloir le concept de l’unité de la matière, c’est-à-dire que les différences qualitatives, spécifiques, que nous sommes encore obligés de supposer à l’heure actuelle, disparaîtraient pour faire place à des différences d’arrangement ou de mouvement.

Ainsi donc, en partant d’une théorie qualitative, la science, à mesure qu’elle progresse, arrive de plus en plus à substituer la quantité à la qualité. Il est à noter que le principe de