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artifice passer d’un ton, d’une nuance, d’une boule à ceux ou celles qui l’avoisinent. Il sera, par exemple, impossible de déclarer que deux tons équivalent à un troisième : on ne peut les additionner. Cela paraît particulièrement clair dans ce cas, parce qu’un ensemble de deux tons forme un accord et non un ton unique. Mais, au fond, il en est de même pour la couleur ou pour la grandeur conçue comme pure sensation tactile ; le fait que deux nuances sont susceptibles d’en fournir une troisième et de même deux boules, n’a rien à voir avec la sensation immédiate.

Non seulement chaque qualité, comme l’a dit Hume[1], mais chaque nuance de qualité ou plutôt de sensation (la qualité étant déjà une transposition, une hypostase) est quelque chose de complet et ne suggère rien d’autre.

De quelle manière, à cette sensation purement qualitative, une sensation de quantité, de grandeur vient-elle se superposer ? Cela dépend évidemment, ainsi que le suggère le terme même de quantité, de conceptions substantialistes. Je considère que la cause de ma sensation sphère est l’existence d’un objet défini, formé d’une certaine matière. Si je réunis la matière de deux sphères égales, et lui donne la forme d’une sphère unique, j’obtiendrai une sensation qui, tout à l’heure, m’apparaissait comme semblable mais différente qualitativement. À l’heure qu’il est, considérant que la matière n’a fait que changer de place, c’est-à-dire qu’elle a subi une modification à travers laquelle l’identité me semble garantie, je déclarerai qu’entre l’une des deux sphères primitives et celle que je viens de former il n’y a qu’une différence de plus ou de moins, une différence de quantité. Je puis arriver à réduire aussi à la quantité les nuances et les tons, en observant qu’une même corde raccourcie ou allongée donnera des tons de hauteur différente et qu’un échantillon teint avec le double d’une même couleur aura une nuance déterminée ; on sait d’ailleurs que nous avons trouvé même des rapports numériques entre des couleurs différentes, en introduisant la considération des longueurs d’onde ; mais, dans ce cas, le rapport entre la modification de l’objet et ma sensation est moins immédiat, c’est pourquoi je suis moins porté à perdre de vue que celle-ci ne connaît rien, directement, de ces considérations de quantité. Mais cela est tout aussi certain pour les

  1. Cf. plus haut p. 283.