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truction de ce dernier, retour à l’élément du feu ; c’est aussi, chez Stahl, le phlogistique, l’inflammabilité et, chez Black, le fluide calorique passant d’un corps à un autre. Et l’on voit clairement qu’à travers toutes ces doctrines se manifeste toujours, avec une grande vigueur, la tendance causale.

La déduction que nous venons de tenter fait naître un nouveau problème. S’il est exact, en effet, que les théories de la qualité soient tributaires des mêmes tendances, enfantées par le même principe que le mécanisme, quel est donc l’avantage que présente ce dernier système, comment expliquer qu’il tende de plus en plus à prévaloir dans la science ?

Tâchons d’abord de nous représenter ce que pourrait être une science purement qualitative. La qualité, nous l’avons vu, n’est qu’une sensation hypostasiée. Deux sensations, si proches que nous les concevions, du moment où elles ne nous paraissent pas absolument identiques, comme le sont par exemple les sensations de deux morceaux d’étoffe de même couleur, ou les tons de deux diapasons mis à l’unisson, ne sauraient se distinguer que par un signe qualitatif ; il en est de même des sensations de deux boules de grandeur différente (p. 280). Donc, en restant dans le domaine de la qualité pure, nous pourrons bien identifier une sensation[1], nous pourrons aussi créer une échelle numérique afin d’être à même de repérer, comme nous faisons pour les températures ou des notes d’examen, mais nous ne saurions aller plus loin. Le fait que, sur trois tons ou trois échantillons plus ou moins clairs de la même couleur rouge ou encore trois sphères de différentes grandeurs, je pourrai toujours indiquer le ton ou l’échantillon ou la sphère qu’il convient de placer entre les deux autres, ne me servira de rien. Car lors même que j’aurai dressé une échelle complète, telle qu’une gamme de tons ou de couleurs ou une série de boules, je ne pourrai par aucun

  1. Ceci suppose évidemment que ma sensation, dans des conditions analogues, sera la même, car il se peut en effet que la même étoffe me paraisse d’une couleur plus ou moins vive, selon la prédisposition de l’œil. Mais, ce postulat implicite admis, on ne voit pas très bien pourquoi M. Lasswitz affirme (Geschichte der Atomistik, vol. Ier, p. 498) qu’on ne saurait reconnaître une qualité comme identique, à moins de la transformer en quantité. Il semble qu’il suffise d’une observation un peu prolongée pour acquérir la conviction qu’un diapason ou une étoffe teinte avec du rouge d’Andrinople (on peut y substituer un verre de couleur) ne se modifient pas sensiblement pendant un laps de temps relativement considérable et qu’on peut dès lors se prononcer en comparant la sensation à celle du type qu’on aura établi.