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plication qualitative, d’une simplicité et d’une clarté parfaites, est remplacée par une hypothèse qui, au point de vue de la qualité, explique manifestement peu de chose, ainsi que Huxley et Berthelot l’ont fait ressortir dans les passages que nous venons de citer. Il est évident, d’ailleurs, que cette insuffisance des théories mécaniques tient à leur essence même ; elles écartent complètement, de parti pris, la qualité en tant que sensation et, quant aux autres propriétés, elles tendent sans doute à les expliquer, mais les éléments dont elles disposent sont si peu variés que cette explication semble extraordinairement difficile. Il ne faut donc pas trop s’étonner de la vitalité dont les théories qualitatives ont fait preuve en chimie. Si l’on oublie pour le moment que les équations chimiques symbolisent un phénomène qui se passe dans un sens déterminé, il est certain qu’en tant qu’égalité entre les deux membres, la représentation selon la théorie du phlogistique était plus complète, puisqu’elle supposait une réelle préexistence de la propriété la plus frappante qui apparaissait au cours du phénomène, la métallicité.

Nous voici enfin ramenés aux doctrines de la qualité par un détour un peu long, mais que nous n’avons pas cru pouvoir éviter : ce passé, pourtant assez récent en somme, nous est devenu à ce point étranger, que pour l’éclairer on ne saurait trop se servir des éléments de comparaison qu’offre le présent. Du moins espérons-nous avoir établi par ce qui précède que le problème que cherchaient à résoudre ces doctrines était le même contre lequel s’escrime la science contemporaine : comment expliquer l’apparition ou la disparition de propriétés ? Les théories mécaniques postulent que tout doit se ramener à des arrangements et des mouvements d’éléments auxquels on n’attribue par avance qu’un minimum de propriétés — l’idéal étant, nous le savons, de les en dépouiller complètement ; les théories de la qualité, au contraire (nous pouvons réunir sous cette dénomination l’aristotélisme conçu sous son aspect scientifique, et les théories qui en sont issues, jusques et y compris celle du phlogistique, et aussi la théorie des fluides en physique) supposent, plus directement, que la qualité elle-même a préexisté, qu’elle s’est déplacée sous une forme plus ou moins hypostasiée, qu’elle est venue se joindre au corps ou qu’elle l’a quitté. C’est le sec et l’humide, le chaud et le froid formant le corps humain chez Hippocrate ; c’est, chez Saadia, la chaleur du corps faisant, après la des-