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avec une grande précision quand les corps sont en état de gaz ou de solutions diluées ; celles du second ordre trouvent leur expression dans les formules dites de constitution. C’est parce que les mêmes atomes de carbone, d’oxygène et d’azote sont placés de deux manières différentes que le cyanate d’ammonium et l’urée — pour choisir l’exemple classique de la fameuse synthèse de Wœhler — ont des propriétés si différentes, et c’est parce que des atomes ou des groupes se trouvent placés autour d’un atome de carbone d’une manière asymétrique que le corps tourne le plan de polarisation. On voit que le domaine de ces recherches embrasse réellement la presque totalité de la chimie actuelle : et l’on voit aussi qu’il ne s’agit nullement de rechercher de simples règles empiriques, mais de véritables explications. Sans doute, les atomes chimiques sont encore loin de pouvoir être confondus avec les atomes physiques, bien que des progrès notables aient été accomplis dans cette direction et notamment par la théorie des ions de M. Svante Arrhénius ; mais le fait qu’on ait, alors même que les conceptions de l’une et de l’autre science paraissaient séparées par un abîme, parlé en chimie d’atome et de molécule, prouve bien qu’on a toujours eu en vue une véritable théorie mécanique. Quand Sully-Prudhomme proclame que « les propriétés spécifiques des corps tendent de plus en plus à s’expliquer par… l’architecture des parties ultimes… c’est-à-dire, au fond, mécaniquement[1] », son affirmation peut être contestée au point de vue de la situation de l’art, mais elle est irréprochable en tant qu’expression d’un postulat. Certains, sans doute, ont trouvé que la théorie était longue à venir : c’est qu’on s’était fait des illusions sur la facilité de la tâche. La désillusion a suivi, un des théoriciens les plus éminents de la chimie l’a avouée en termes amers[2], et c’est la source d’où dérivent à la fois les vives attaques que ce savant a dirigées contre les théories mécaniques en général, et une nouvelle théorie non mécanique dont nous aurons à nous occuper tout à l’heure. Mais cela n’empêche que les tendances générales de la chimie aient bien été jusqu’à ce jour telles que nous venons de les caractériser.

Il ne paraît d’ailleurs pas douteux que ces tendances ne

  1. Sully-Prudhomme et Richet, l. c., p. 91.
  2. Ostwald. Lettre sur l’énergétique. Revue générale des sciences, VI, 1895, p. 1071.