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composés constitue la tâche principale de la chimie théorique. Mais ce n’est là formuler que le côté légal du problème. Or, sur ce point, comme sur d’autres, la loi seule ne suffit pas à notre entendement. Nous voulons savoir non seulement de quelle manière les choses changent, mais encore pourquoi elles changent. Quand il s’agit de corps qui entrent dans une combinaison, on a bien soin de préciser que nous ne devons pas nous attendre à ce qu’ils conservent leurs propriétés ; on en fait même le critérium de la véritable combinaison chimique, que l’on définit comme la réunion de corps dont les propriétés sont modifiées[1]. Au point de vue purement empirique, cette définition est irréprochable : quand j’aurai mis en présence le métal argentin et mou que j’appelle sodium et le gaz verdâtre et irritant que je désigne comme chlore, je verrai finalement apparaître à leur place des cristaux incolores d’une substance qui m’est bien connue, le sel marin. Mais comment cela a-t-il pu se faire, d’où viennent les propriétés du sel marin et que sont devenues celles du chlore et du sodium si, comme nous renseigne formellement la chimie, ces deux éléments continuent à exister dans le chlorure de sodium ? « Il est au premier abord difficile de concevoir, dit Berthelot, comment des corps doués de propriétés aussi peu semblables à celles du sel marin en sont cependant les seuls et véritables éléments ; on serait porté à croire à l’intervention de quelque autre composant que l’analyse a été impuissante à nous révéler[2]. » Berthelot affirme avec raison que la chimie dispose de moyens suffisants au point de vue expérimental pour nous rassurer sur ce point, pour nous démontrer que ces composants sont réellement les seuls. Est-il besoin de faire ressortir qu’après cette démonstration le phénomène reste aussi incompréhensible qu’avant ? Si la chimie n’est pas une science purement empirique, s’il existe une chimie « théorique » ou « rationnelle », si seulement nous avons l’espoir d’en construire une, il est évident qu’elle a ou devra avoir pour tâche d’expliquer, comme le formule Huxley, que les pro-

  1. Il est très caractéristique à ce point de vue que, dans la théorie des ions, le fait qu’en solution aqueuse toutes les propriétés physiques des sels sont additives, est considéré comme une preuve qu’il y a dissociation complète, c’est-à-dire pas de combinaison du tout. Cf. Arrhénius. La dissociation électrolytique. Congrès international de physique de 1900, vol. II, p. 377.
  2. M. Berthelot. La synthèse chimique. Paris, 1876, p. 7.