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qui en est formé (tel qu’une clef ou un couteau). Ainsi donc la matière peut changer de forme ; les alchimistes disent quelquefois : de vêtement.

Les alchimistes ne considèrent pas toutes les qualités comme substantielles, mais seulement un tout petit nombre, les autres leur apparaissant comme purement accidentelles. De ce chef leurs affirmations, au point de vue de notre science moderne, nous semblent fréquemment entachées d’une certaine ambiguïté. Ainsi le soufre, le mercure et le sel qui composent les corps ne sont pas des éléments dans le sens que nous donnons à ce mot, car ils ne sont pas toujours identiques à eux-mêmes. Paracelse déclare expressément que les divers corps ont des mercurii, sulfura et sales particuliers[1]. Une autre équivoque résulte du fait que l’on distingue bientôt entre les éléments et les corps connus portant le même nom. Cette différenciation s’accroît à mesure que la science avance : pour Homberg, au xviie siècle, le soufre ordinaire est composé d’une terre, d’un acide et de soufre élémentaire, principe de la combustibilité[2].

Ainsi, en dehors des propriétés essentielles qui le caractérisent véritablement, un corps en a encore d’autres qui peuvent se modifier sans que sa nature intime soit changée. Les métaux qu’on considère à première vue comme une classe de corps nettement délimitée, ayant un grand nombre de propriétés en commun, sont censés contenir la même « matière première » ; les propriétés par lesquelles ils diffèrent ne peuvent être que d’importance secondaire[3]. On peut espérer transmuer un métal en un autre, soit en ramenant le premier d’abord à cette materia prima[4] soit, comme le supposent plus généralement les alchimistes, en agissant directement sur ses

  1. I. Kopp. Geschichte, vol. I, p. 97.
  2. Ib., p. 182.
  3. Libavius exprime la croyance générale en affirmant que les métaux « distare videntur, non tam substantia, quam accidentium absolutione » (Kopp. Alchemie, vol. I, p. 46). — C’est cette croyance à la facilité de la transmutation qui a constitué plus tard l’obstacle le plus sérieux aux progrès de la chimie analytique. Cf. Kopp. Geschichte, vol. III, p. 56. — Les diffèrences entre les métaux paraissant tout à fait insignifiantes, on a supposé qu’on pouvait les faire disparaître par une sorte de fermentation, ce qui a conduit à attribuer à la pierre philosophale, considérée comme ferment, des propriétés qui nous paraissent si chimériques. De même, on croyait que les métaux pouvaient se multiplier, que du cuivre teint en blanc par l’arsenic et ajouté à l’argent augmentait réellement la quantité de ce dernier métal (Kopp. Alchemie, vol. I, p. 166), ce qui était d’ailleurs conforme à la théorie de la mixtion d’Aristote.
  4. Cf. Berthelot. Les origines de l’alchimie. Paris, 1885, p. 282.