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théorie et que nous suivrons dans son analyse, une atomistique qualitative. Bérigard suppose une variété infinie d’atomes qui, tout en étant des corpuscules sphériques, représentent chacun une qualité élémentaire ; il fait ressortir que les quatre qualités fondamentales d’Aristote ne suffisent pas pour expliquer le monde sensible lequel, étant infiniment divers, suppose une diversité infinie des qualités et par conséquent des éléments[1]. Les atomes-qualités (Bérigard les qualifie lui-même de qualités corporelles, qualitates corporatæ) pénètrent dans les pores (meatus) de la matière et lui octroient ainsi les propriétés correspondantes[2]. Toute modification du monde matériel ne consiste que dans le mouvement de ces substances qui tantôt s’ajoutent au corps, en déterminant son espèce, ce que nous appelons sa naissance (generatio), tantôt s’en séparent, ce qui constitue sa corruption ; l’altération se produit quand, par suite du mouvement des substances, les propriétés du corps ne se trouvent pas suffisamment modifiées pour qu’il y ait une nouvelle espèce[3]. Il est à remarquer, cependant, que Bérigard n’est pas resté, dans ses déductions, absolument conséquent avec lui-même ; il a cédé à l’attrait de l’atomisme, en attribuant certaines qualités non à des substances élémentaires, mais à la vertu du groupement. Ainsi la liquidité résulte pour lui du fait que les « principes » du corps n’adhèrent pas fortement les uns aux autres, ce qui fait qu’ils sont mobiles ; toutes les substances élémentaires doivent être liquides[4].

Ces anomalies mises à part, la doctrine de Bérigard nous fournit l’exemple le plus parfait d’une hypothèse physique purement qualitative. Elle nous aide ainsi à comprendre quel aurait été, en un certain sens, l’aboutissement des théories des alchimistes. Toutefois, ces derniers, précisément parce que beaucoup plus fidèles à l’esprit du péripatétisme, s’arrêtent bien en deçà de la limite. Ils supposent, d’accord avec la doctrine aristotélicienne, qu’entre le substrat du corps, la matière première, et le corps revêtu de ses qualités le rapport est le même qu’entre la matière (telle que le fer) et un objet

  1. Circulus Pisanus Claudii Berigardi Molinensis De veteri et peripatetica philosophia. Udine, 1643, l. IV, Circulus XX, p. 125. — Cf. Lasswitz, l. c., p. 491.
  2. Ib., Circulus II, p. 17. — Lasswitz, p. 490.
  3. Ib., Circ. II, p. 6. — Lasswitz, ib.
  4. Ib., Circ. XVIII, p. 115. — Lasswitz, p. 497.