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ments eux-mêmes ; la terre que nous connaissons est un corps où les particules sèches et froides prédominent. Mais la terre est poreuse et entourée d’eau, d’air et de feu ; il est donc naturel que ce que nous désignons sous le nom de terre contienne également des particules des trois autres éléments ; celles de l’élément terre prévalent, seules elles s’y trouvent « naturellement », les autres y étant « accidentellement ».

Le trait distinctif de ces doctrines, c’est la manière dont y est conçue la mixtion des éléments et l’on peut voir, dans le beau livre de M. Lasswitz[1], combien cette question a agité la philosophie du moyen âge. Les représentants de la scolastique ont essayé de préciser ce qu’Aristote avait laissé un peu dans le vague, Avicenne et Averroës parmi les Arabes, Albert le Grand et saint Thomas parmi les Occidentaux, ont édifié des théories antagonistes. C’est que, chez les uns, l’aspect purement logique de l’aristotélisme prévaut, alors que, chez les autres, domine son aspect de théorie proprement scientifique. Ceux qui s’occupent de science pratique, qui observent et expérimentent, penchent naturellement plutôt vers cette dernière doctrine. Dans ce nombre se trouvent les alchimistes, pour qui la théorie de la combinaison et de la séparation des corps présente une importance particulière. Pour un alchimiste du moyen âge un élément est un corps doué de certaines qualités qu’il conserve en se combinant et communique à la combinaison où il entre. Seulement, étant donnée la nature des phénomènes auxquels les alchimistes consacraient leur attention, les quatre qualités cardinales d’Aristote pouvaient leur être d’un médiocre secours. Ce qui les intéressait, ce n’était pas de savoir si un corps devait être considéré comme sec ou humide, comme chaud ou froid, mais s’il était combustible ou volatil, ou si au contraire il résistait au feu, s’il était de nature métallique, etc. De là la supposition d’éléments différant de ceux des aristotéliciens. Le rapport de ces nouvelles substances fondamentales (qu’on supposait généralement au nombre de trois : le sel, le soufre, le mercure) aux anciens éléments d’Aristote dont les alchimistes ne niaient pas l’existence, ne fut jamais bien défini[2], mais leur rôle en tant que

  1. Lasswitz, l. c., vol. Ier, p. 233 ss.
  2. Pour Paracelse, comme pour la plupart des alchimistes, les éléments d’Aristote se retrouvent au-dessous des éléments chimiques ; il y a là, pour ainsi dire, deux degrés de simplicité (Kopp. Die Alchemie, vol. I, p. 35). À une époque un peu postérieure, Nicolas Le Fèvre identifie au contraire les