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il y a des propriétés qu’il est, je le sais, à peu près impossible de modifier. Si, en examinant la table, je trouve qu’une craquelure dans la planche, que j’avais aperçue autrefois, n’existe plus, je concevrai des doutes sur son identité.

En appliquant ces notions à la variation des choses dans le temps, on peut admettre qu’il y a en elles une substance immuable et des accidents changeants.

Il semble, à première vue, que nous soyons parvenus ainsi aux fondements mêmes du péripatétisme. Mais il faut prendre garde : la véritable doctrine d’Aristote, Malebranche l’a dit, n’est pas une physique, mais une logique. De ce chef, elle nous échappe ici. Mais on peut, croyons-nous, établir qu’en traitant des phénomènes physiques, le péripatétisme, surtout au moyen âge, avait une tendance à sortir de ce cadre purement logique et qu’alors il donnait naissance en effet à des théories analogues à celles que nous venons de désigner.

Nous avons vu que l’atomiste, par une opération mentale précédant toute recherche théorique, retranche de la réalité une immense partie de la sensation, en déclarant qu’il n’y a rien au delà de la matière et du mouvement. Le péripatéticien — nous nous servirons de ce terme sous les réserves que nous venons d’indiquer — n’est pas obligé de procéder ainsi. Il est incontestablement, à ce point de vue, plus près du sens commun. On ne peut mieux caractériser les traits distinctifs de cette méthode que ne l’a fait Paul Tannery : « D’une part, tendance à s’attacher aux phénomènes tels que les sens les révèlent à l’observation superficielle et grossière, on peut même dire respect marqué pour les croyances vulgaires, du moment où elles ne sont pas visiblement erronées ; d’autre part, tendance à remonter le plus haut possible et le plus tôt possible dans la série des causes, mais cela par simple analyse du concept et sans aucun retour nouveau à l’expérience[1]. » À ce tableau, destiné à marquer les traits distinctifs de la philosophie du Stagirite lui-même, une seule et légère retouche est nécessaire pour qu’il corresponde exactement aux tendances qui dominaient les doctrines des philosophes dont nous parlons ; c’est que, le nombre des faits connus s’étant accru, il est davantage question d’expériences et un peu moins des faits appartenant au sens commun propre. Mais c’est toujours de préférence à l’aide d’un processus logique et en suivant

  1. P. Tannery. Les principes de la science de la nature chez Aristote. Congrès de philosophie de 1900, vol. IV. p. 214.