Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

atteindre, reste une pure règle empirique. Si nous voulons le rendre rationnel, nous sommes obligés de rechercher une théorie mécanique, c’est-à-dire une explication causale.

Il est d’ailleurs facile de se rendre compte pourquoi on n’a jamais essayé de faire valoir le principe de Carnot comme « cause finale ». C’est qu’il n’y a aucun moyen de représenter le but vers lequel il fait tendre la nature comme un but raisonnable. Or, c’est là ce dont le vrai finalisme ne saurait au fond se passer. De même que la cause, la fin doit être intelligible, ce qui, pour celle-ci, aboutit à demander qu’elle nous paraisse digne qu’on y tende. C’est dire que nous ne saurions nous débarrasser, en cette matière, de l’anthropomorphisme, des considérations anthropocentriques. Cela se voit clairement chez le plus récent et le plus compétent des défenseurs du finalisme dans la science. M. de Lapparent estime que la constitution de réserves de houille dans les profondeurs de l’écorce terrestre « atteste un dessein merveilleusement poursuivi ; toutes les particularités des gisements, l’épaisseur des couches, l’intercalation de masses stériles, le fait que le terrain carbonifère ne soit pas trop facile à atteindre (ce qui empêche le gaspillage), lui paraissent concourir à cette démonstration. Mais, bien entendu, le but de cette « trame trop bien ourdie » ne peut être autre que de « préparer l’avènement du roi de la Création[1] ». En effet, à supposer qu’il y ait dans l’univers une chose dont l’intérêt prime celui de l’humanité, nous sommes certainement incapables de le reconnaître. Spinoza et Schopenhauer ont mis hors de doute que le principe « la nature ne fait rien en vain » ne saurait signifier que : « elle ne fait rien qui ne soit utile à l’homme[2] ».

Mais causalité et finalité ne pourraient-elles subsister côte à côte, comme explication des mêmes phénomènes ? On a supposé qu’au-dessus de groupes de faits liés par la causalité, il pouvait y avoir une « pensée directrice » liant ces groupes. Considérons, par exemple, des maçons construisant une maison. En apparence, ce sont leurs actes seuls qui déterminent l’œuvre ; pourtant ils ne font qu’exécuter les plans de l’architecte. Fixons d’abord les limites de cette hypothèse : elle est inapplicable à l’intérieur de séries de faits régis par

  1. A. de Lapparent. Science et apologétique. Paris, 1905, p. 191-211.
  2. Schopenhauer. Saemmtliche Werke, éd. Frauenstaedt. Leipzig, 1877, vol. III, p. 387.