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que quand on en avait fourni une explication, ou du moins indiqué une voie par laquelle il semble possible d’en trouver une. C’est ce qu’ont fait ou du moins tenté de faire les initiateurs du concept d’évolution en biologie : Lamarck, Darwin, Wallace. Ont-ils réussi ? À ce sujet les avis, parmi les biologistes eux-mêmes, diffèrent.

Cependant, un certain nombre de points semblent acquis. En tous cas, les biologistes partisans de l’évolution semblent convaincus que, soit une des causes déjà indiquées à l’heure actuelle, telles que l’hérédité des caractères acquis, la sélection par l’attrait sexuel, la sélection par la lutte pour la vie, etc., soit l’ensemble de ces causes, soit même l’intervention de causes auxquelles on n’a pas encore pensé jusqu’ici, suffisent pour expliquer ce qui nous apparaît comme une tendance vers un état futur. Le principe d’évolution ainsi expliqué ressemble au principe de Carnot interprété par la théorie de Maxwell. Il devient une conception causale, un principe de conservation ; il tend, en effet, à nous faire voir que toutes les formes de la vie organisée qui nous sont connues sont issues, par des transformations multiples et graduelles et sous l’action de causes explicables, c’est-à-dire mécaniques, d’une forme unique et simple. C’est un développement tout à fait analogue à celui de la nébuleuse primitive censée avoir engendré de son sein, en vertu de forces qui lui étaient inhérentes de toute éternité, toute la diversité de notre système planétaire.

L’évolution devient donc, comme M. Wilbois l’a remarqué, une pure apparence recouvrant une fixité véritable[1], c’est-à-dire qu’on substitue à la genèse une épigenèse.

Si l’on adopte cet aspect du principe qui est bien, comme il est aisé de s’en convaincre, celui sous lequel il apparaît généralement aux biologistes[2], les raisonnements de l’abbé Galiani et de Kant ne paraissent plus valables et l’on ne voit plus la nécessité de recourir, pour l’explication du monde organisé, à la finalité. La causalité paraît susceptible d’entreprendre cette tâche, ce qui revient à dire, nous l’avons vu, que l’on a l’espoir de ramener l’être organisé au mécanisme

  1. J. Wilbois. L’esprit positif. Revue de métaphysique, X, 1902, p. 335.
  2. Cf. par exemple Jacques Loeb. Zur neueren Entwicklung der Biologie. Annalen der Naturphilosophie. t. IV, 2. Cette conception est d’ailleurs également celle de nombre de philosophes. Cf. René Berthelot. Bulletin de la Société française de philosophie, 5e année, 1905, p. 250 ss. et Hermann Cohen. Logik der reinen Erkenntniss. Berlin, 1902, p. 247.