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La situation s’est complètement modifiée avec l’avènement de la théorie ou du principe d’évolution. Cependant, sur ce point, il convient de préciser.

En effet, si l’on essaie de fixer avec exactitude la portée de ce principe, on constate qu’il ne paraît pas être conçu dans le même sens par tout le monde. Ainsi, certains philosophes accusent les biologistes d’en fausser le sens ; ils déclarent que pour en saisir la vraie signification il importe de le « dégager de sa gangue matérialiste[1] ». Cette situation ne laisse pas que d’étonner, si l’on se rappelle que le concept d’évolution a surgi à propos de faits et de théories biologiques et qu’à l’heure actuelle encore, c’est surtout dans cette science qu’il trouve son application. On soupçonne aussitôt qu’il doit y avoir, entre les deux camps, un malentendu. Nous croyons qu’il est possible de montrer qu’il en est réellement ainsi, que le principe d’évolution est double, ou, si l’on aime mieux, qu’il présente deux faces, l’indétermination provenant de ce que les sciences biologiques se trouvent, en comparaison des sciences physiques, dans un stade de développement infiniment moins avancé, et que, par conséquent, la différenciation qui se produit dans celles-là ne s’impose pas simultanément dans celles-ci.

Reportons-nous à l’époque de la grande discussion entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Qu’affirmait la théorie régnante ? Elle maintenait que les espèces doivent être considérées comme fixes, invariables, chacune ayant surgi avec des caractéristiques déterminées et les ayant conservées si elle subsiste encore ou, si elle a disparu, jusqu’à cette disparition même. Les novateurs, au contraire, prétendaient que l’espèce, par le fait même de sa vie, se modifie. Tout le monde était et est, semble-t-il, encore à peu près d’accord sur le sens dans lequel se produit cette modification de l’espèce, ou son évolution, comme on a désigné ce concept plus tard : c’est que l’espèce s’adapte de mieux en mieux à son entourage, elle

    p. 90 ss.) a raison et que ce passage est contredit parce que Kant a dit quelques pages plus loin (l. c., § 79, p. 111). Mais si on ne peut faire disparaître la contradiction logique, on peut comprendre à la rigueur, au point de vue psychologique, comment Kant y a été amené. Kant était sans doute, au point de vue abstrait, convaincu que tout devait s’expliquer « par des raisons de méchanique » comme disait Leibniz. Mais pour l’être organisé, l’évidence de la finalité lui est apparue, au moment même où il examinait cette question, à tel point écrasante, que le problème causal lui a semblé cardinalement insoluble.

  1. É. Le Roy. La nouvelle philosophie. Revue de métaphysique, IX, 1901, p. 294