Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scientifique s’y appliquent d’une manière constante, elle est leur œuvre et ils la gouvernent véritablement.

Il convient ici de mentionner un autre concept encore, celui de finalité. Dans un passé assez récent, la finalité était en grand honneur dans la science. Sans parler de l’usage plus ou moins subreptice qu’on en faisait dans les sciences physiques proprement dites (usage qui, nous le verrons, n’a pas complètement cessé), elle paraissait seule susceptible de fournir des points de vue vraiment synthétiques dans les sciences de l’être organisé. Sans doute, Descartes avait affirmé que l’organisme n’était qu’une machine et, au xviiie siècle, les matérialistes avaient magnifiquement développé cette thèse. Mais elle paraissait une vue toute métaphysique et d’où il était impossible de tirer des indications précises pour des recherches expérimentales. Qu’il y eût, dans chaque être organisé, un ensemble adapté merveilleusement au milieu et au mode d’existence, c’est ce qu’une observation même superficielle permettait d’apercevoir et ce qu’une étude approfondie confirmait. C’est sur cet accord qu’était fondée la preuve téléologique de l’existence de Dieu qui, on le sait, a occupé pendant de longs siècles une place considérable dans la pensée de l’humanité. À la veille presque des travaux de Lamarck, dans un milieu très porté vers le matérialisme, l’abbé Galiani a formulé cette opinion avec beaucoup de force et d’éloquence[1]. Kant était également d’avis qu’on ne pourrait jamais se passer, pour l’explication des êtres organisés, des considérations de finalité : « Il est absolument certain que nous ne pouvons apprendre à connaître d’une manière suffisante et, à plus forte raison, nous expliquer les êtres organisés et leur possibilité intérieure par des principes purement mécaniques de la nature, et on peut soutenir hardiment avec une égale certitude qu’il est absurde pour des hommes de tenter quelque chose de pareil, et d’espérer que quelque nouveau Newton viendra un jour expliquer la production d’un brin d’herbe par des lois naturelles auxquelles aucun dessein n’a présidé ; car c’est là une vue qu’il faut absolument refuser aux hommes[2]. »

  1. Mémoires inédits de l’abbé Morellet, etc., 2e éd. Paris, 1822, vol. Ier, p. 135 ss.
  2. Kant. Critique du jugement, trad. Barni, vol. II, § 74, p. 77. — En dépit de ce qu’a dit à ce sujet Renouvier (Esquisse d’une classification, etc., p. 195), nous croyons que M. Hæckel (Histoire de la création. Paris, 1874,