Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque sorte une volition dépouillée du sentiment de la liberté, ce qui est assurément contradictoire, mais, en l’occasion, indispensable. C’est ce que l’on voit clairement dans le passage de Malebranche (p. 277) qui, mettant en cause la divinité, est obligé de supposer que ses actes sont strictement déterminés, c’est-à-dire de la dépouiller, en cette circonstance, de son libre arbitre. Ce n’est donc plus tout à fait la causalité théologique ; c’est un concept approchant, intermédiaire en quelque sorte entre celui-ci et la causalité scientifique. Il tient de la première en ce qu’il suppose une dissemblance fondamentale, une hétérogénéité absolue entre la cause et l’effet ; et de la seconde, en ce qu’il exclut la liberté. On peut désigner ce concept comme celui de la causalité efficiente.

En outre, cette notion n’apparaît qu’à l’extrême limite du domaine de l’explication. La science, d’un effort puissant et inlassable, recherche l’identité dans les phénomènes, la leur impose même au besoin. Là où cet effort reste stérile, où se manifeste l’irrationnel, l’association mentale entre les deux concepts de causalité, — l’un issu de la raison et l’autre émané de la sensation immédiate du vouloir — glisse pour ainsi dire subrepticement, à la place du premier, le second ou du moins son reflet. C’est ce que faisait Malebranche, en attribuant l’action des corps à la volonté de la divinité. Avec cette seule différence que nous substituons à cette conception pseudo-théologique une conception pseudo-métaphysique, nous agissons de même en dotant les atomes d’une puissance mystérieuse que nous appelons impénétrabilité ou force, mais qui, bien entendu, sous cet aspect, reste aussi irrationnelle que l’acte de la divinité de Malebranche ; car l’effet qu’on entend produire est le mouvement et ce qu’on loge dans le corps ne peut être qu’une faculté. Il suffit d’ailleurs de scruter ces concepts pour reconnaître qu’ils dérivent des sensations indissolublement liées à des actes de volonté. Leibniz, en introduisant sa notion du principe d’action ou de passion, déclare qu’elle « est très intelligible quoiqu’elle soit du ressort de la métaphysique » ; mais ce terme d’intelligible n’a pas chez lui la portée que nous lui avons attribuée. Ce qu’il entend affirmer, c’est que le concept cherché correspond à quelque chose que nous sentons distinctement et directement, et l’accumulation des termes de puissance, d’action, de résistance et d’effort ne laisse aucun doute que la sensation qu’il évoquait par cette association d’idées était bien celle