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celles de l’ouïe et de la vue, l’énigme pour les unes et pour les autres est la même.

Mais nous pouvons parvenir au même résultat par une autre voie : en assimilant ce qui se passe en dehors de nous à ce qui se passe en nous. Quand des mouvements de la matière frappent certains de nos organes et se transforment, ils deviennent sensations ; d’autre part il se forme, dans les profondeurs de notre être, ce que nous appelons des volitions qui, passant par d’autres organes, deviennent des mouvements. Nous pouvons supposer que les seconds sont la conséquence des premiers. Dès lors, la sensation n’étant que l’aspect intérieur de l’action des corps sur nous et la volition l’aspect intérieur de notre action sur les corps, il nous est loisible de supposer que c’est par des sensations et des volitions que réagit la matière. Comme l’a dit Schopenhauer, nous serions, en exerçant un acte de volition, « derrière les coulisses » de la naturel[1]. Sans doute, notre volition nous paraît libre ; mais la pierre lancée en l’air, si elle était douée de conscience, se figurerait, sans doute, monter et descendre par un acte de libre arbitre[2]. Il est évident, d’ailleurs, que cette assimilation n’explique rien, car nous ne comprenons pas comment une volition en nous se transforme en mouvement. Mais nous comprenons au moins que l’irrationnel pourrait bien être unique.

Que si nous nous référons à l’analyse à laquelle nous nous sommes livrés sur la signification du terme « cause », il est évident que nous venons d’assimiler un acte de la nature brute à un phénomène relevant, non pas de la causalité scientifique, mais de la causalité théologique. Sommes-nous donc allé trop loin en affirmant que celle-ci est entièrement exclue de la science ? Oui et non. Remarquons d’abord que ce concept, en entrant dans la science, se transforme. L’acte de volition est libre par essence ; mais comme la science ne saurait embrasser que des phénomènes soumis à la domination de la loi, nous sommes nécessairement amenés à éliminer cette liberté, à la traiter en épiphénomène, à concevoir en

  1. Schopenhauer, Ueber die vierfache Wursel, éd. Frauenstaedt. Leipzig, 1877, p. 145.
  2. Spinoza. Opera. La Haye, 1883, vol. II, p. 208. « Hic sane lapis quandoquidem sui tantummodo conatus est conscius, et minime indifferens, se liberrimum esse, et nulla alia de causa in motu perseverare, credet, quam quia vult. »