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rapports entre la sensation et le substrat supposé de la réalité, l’électron, ont été coupés : de toute évidence, ce « point singulier dans l’éther » n’a rien de tangible. Aussi ne prétendons-nous plus qu’il soit matériel : il doit expliquer la matière, mais il n’en est pas. D’ailleurs, le fait que cette théorie ait pu naître et acquérir si rapidement une place prépondérante dans la science constitue une preuve de plus contre la primauté du toucher : si ce sens était réellement le révélateur suprême de la réalité extérieure, une théorie de la réalité qui fait si complètement abstraction de ses impressions serait inconcevable.

Mais, quand nous pensons à la matière tangible, c’est le toucher-sensation qui se trouve au fond de ce concept et c’est de la même étoffe que sont faites les billes de billard de Hume ; il n’est donc pas étonnant que l’action transitive ne se trouve pas parmi leurs propriétés. C’est la simple constatation que deux sensations qui diffèrent l’une de l’autre sont aussi indépendantes l’une de l’autre, d’où il s’ensuit qu’hypostasiées en qualités, elles le restent également. « La solidité, l’étendue, le mouvement, sont autant de qualités complètes en elles-mêmes ; elles n’indiquent aucun autre événement qui en puisse être le résultat » dit Hume[1].

L’action transitive de la matière, la faculté de déplacer une autre matière, est donc bien quelque chose d’irrationnel dans le sens que nous avons donné plus haut à ce terme, c’est-à-dire qu’elle reste et restera irréductible à des éléments purement rationnels. Dès lors, l’explication du phénomène telle que nous la présente le mécanisme nous paraît encadrée, limitée, par deux irrationnels, l’un tourné du côté de l’objet : nous ne pouvons comprendre comment les corps peuvent agir les uns sur les autres ; l’autre du côté du sujet : nous ne comprenons pas comment les mouvements peuvent, en nous, se transformer en sensations.

Il est clair d’ailleurs que l’irrationnel, dans les deux cas, est du même ordre et nous pouvons même croire qu’il est identique. Il le devient si, abandonnant résolument toute hypostase de sensations tactiles, nous ne formons notre concept de matière qu’à l’aide de la notion d’action transitive, comme cela a lieu dans la théorie électrique de la matière ; dès lors, en effet, les sensations du tact devenant analogues à

  1. Hume, l. c., p. 453.