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qui semble conditionner cette sensation. De même que nous appelons lumière notre sensation et la vibration de l’éther qui se passe en dehors de nous, nous disons aussi : ces deux corps se touchent, alors que, bien entendu, nous ne pensons aucunement à leur attribuer le sens du toucher. Mais si nous écartons ce qui a trait à cette transposition, nous ne tardons pas à reconnaître qu’il s’agit, pour le toucher, d’impressions sensorielles spéciales, tout comme celles de l’ouïe et de la vue.

On peut s’en assurer directement en observant que les sensations tactiles, comme les sensations visuelles ou auditives, sont purement qualitatives et ne contiennent à aucun degré cet élément de grandeur continue qui nous paraît faire partie intégrante de notre concept de l’espace. Quand nous affirmons qu’une sphère est deux fois aussi grande qu’une autre, la seconde nous donnera-t-elle au toucher une sensation double de la première ? En aucune façon. Nous aurons simplement deux sensations analogues et différentes, à peu près à la manière de deux nuances d’une même couleur ou de deux tons différant d’une octave. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette matière et nous verrons alors comment, à cette sensation qualitative, se superpose l’élément de grandeur (p. 316 ss.).

Si l’on part de la conception mécanique du monde extérieur, la sensation tactile, comme toute autre sensation, est inexplicable. Cela nous paraît moins évident que pour la vue ou l’ouïe, parce que, pour le toucher, la confusion entre notre sensation et le phénomène extérieur est plus complète ; mais il suffit d’analyser un peu les concepts pour reconnaître que la notion de matière agissant mécaniquement, déplaçant une autre matière, ne contient rien du quid proprium de notre sensation du toucher. Le « moulin » de Leibniz ne produira pas plus cette sensation là que n’importe quelle autre. Sans doute si, comme le suppose Lotze, le monde réel contenait, en dehors des actions mécaniques, d’autres éléments, ceux-ci ne pourraient pas pénétrer dans ce « moulin », alors que les premières y entreraient librement. Mais c’est encore une illusion, fondée sur ce que, cherchant à comprendre le fonctionnement de notre cerveau, nous sommes contraints de nous le figurer sous les espèces d’un mécanisme. En réalité, nous n’avons aucune connaissance immédiate de la manière dont il fonctionne. Le fait même que c’est le cerveau qui est le siège des sensations et des idées est une découverte récente ; les