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offre à ce propos de précieux témoignages. Il s’agit d’observations sur les rapports de la sensation spatiale chez les aveugles-nés et les clairvoyants. Au xviie siècle déjà Molyneux et Locke avaient remarqué qu’il y avait là un problème à résoudre[1]. Depuis, Hamilton a attiré l’attention sur l’observation de Platner[2]. Enfin, M. Charles Dunan a précisé ces conceptions en observant que, si nous sommes obligés de supposer que la sensation de l’espace est différente chez l’aveugle-né et le clairvoyant (ce dont tout le monde convient), nous devons également reconnaître que chez ce dernier la sensation de l’espace résulte du seul sens de la vue et que loin de transformer les images visuelles en images tactiles, comme le voulait Berkeley, nous traduisons celles-ci en celles-là[3]. Tout récemment, M. Lalande a présenté une observation qui tend également à démontrer que, dans certains cas, les perceptions visuelles nous donnent un sentiment de réalité objective plus puissant que n’importe quelle autre sensation[4]. Ces opinions ont fait l’objet d’une discussion approfondie à la Société française de philosophie[5]. Ce que nous voulons surtout retenir de cet intéressant débat, c’est qu’on n’y semble avoir fourni aucun argument précis en faveur de la primauté du toucher ce qui, répétons-le, serait surprenant si le toucher était le véritable sens de l’extériorité. Mais il est au contraire possible de montrer qu’il ne jouit à ce point de vue d’aucun privilège et de reconnaître en même temps d’où vient notre illusion à cet égard.

Constatons d’abord que le terme, comme bien d’autres formés par la vie commune, est imprécis. La langue est remplie de tropes. Ainsi, le toucher nous apparaît d’une part comme un sens particulier dont nous sommes doués ; mais, d’autre part, ayant conçu l’existence du monde extérieur, nous appliquons aussitôt le même terme au phénomène extérieur

  1. Berkeley, l. c., § 8.
  2. Cf. Dunan, l. c., p. 355.
  3. Ib., p. 152-153.
  4. Lalande. Revue philosophique, vol. LIII, 1902.
  5. Bulletin de la Société française de philosophie, 3e année, 1903. p. 58 ss. — Il se peut que, comme le suppose M. Kozlowski (Psychologiczne zrodla. Varsovie, 1899, p. 43, 57  ss. Zasady. Varsovie, 1903, p. 234, 251) la difficulté de s’entendre en cette matière provienne surtout de ce qu’on cherche à déduire toutes les sensations spatiales d’une source unique, soit de la vue, soit du toucher ou du sens musculaire, et qu’il faille, chez les clairvoyants, attribuer la sensation de l’espace à deux dimensions à la vue, et la sensation de la troisième dimension aux autres sens.