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soient connexes ; cette dernière assertion ne saurait avoir lieu qu’après avoir observé plusieurs exemples de la même nature. Or quel changement est-il arrivé qui ait pu susciter cette nouvelle idée, je dis l’idée de connexion ? Tout se réduit à ce que l’on sent actuellement ces éléments liés dans l’imagination et que l’on peut prédire le second à l’apparition du premier[1]. » En d’autres termes, l’action mécanique est une loi, mais n’est point et ne saurait jamais devenir une déduction.

Remarquons en passant que Hume n’a pas été, à beaucoup près, le premier à émettre des opinions de ce genre. La nature transcendante de l’obstacle auquel se heurte ici notre compréhension a été reconnue depuis fort longtemps. Le problème, en effet, n’est autre que celui qui est connu sous le nom de « communication des substances ». Les scolastiques en avaient traité, et Holkot, notamment, a développée ce sujet des idées dont la parenté avec celles de Hume est surprenante[2]. Locke a également affirmé que la communication du mouvement est incompréhensible[3]. Chez Leibniz cette incompréhensibilité fait partie intégrante de sa conception de l’ « harmonie préétablie » — tout se passant en apparence comme si le mécanisme seul déterminait la marche du monde, mais en réalité chaque monade évoluant isolée, sans communication possible avec les autres, et offrant seulement, en vertu d’un ordre établi dès l’origine des choses, une image, un miroir du monde. L’occasionnalisme de Cordemoy, développé par Malebranche, précise que dans chaque rencontre de la matière l’intervention d’un agent mystérieux — la volonté de Dieu — est nécessaire. « Les corps n’ont aucune action, dit Malebranche ; et lorsqu’une boule qui se remue en rencontre et en meut une autre, elle ne lui communique rien qu’elle ait : car elle n’a pas elle-même la force qu’elle lui communique. Une cause naturelle n’est donc point une cause réelle et véritable, mais seulement une cause occasionnelle, et qui détermine l’Auteur de la nature à agir de telle et telle manière, en telle et telle rencontre[4]. » Observons que ce que Malebranche appelle ici « une cause réelle et véritable » ne rentre pas dans

  1. Hume. Psychologie, trad. Renouvier et Pillon. Paris, 1878, p. 469.
  2. Cf. Gonzalez. Histoire de la philosophie. Paris, 1890, p. 408.
  3. Locke. An Essay concerning Human Understanding. Londres, 1759, vol. I, chap. XXIII, p. 135.
  4. Malebranche. De la recherche de la vérité. Paris, 1712, p. 113.