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qu’un espace de temps infiniment court. Tout, dans la nature, se passe dans le temps, et admettre que quelque chose puisse se produire en dehors de lui, c’est concéder que le cours de l’univers entier n’est plus conditionné par le temps[1]. En réalité, ainsi que nous l’avons déjà vu au deuxième chapitre, il est tout à fait impossible de se figurer la transmission du mouvement d’atome à atome sans faire intervenir une faculté spéciale, un agent mystérieux.

La déduction des phénomènes par le mécanisme ne réussit que parce que nous conservons, plus ou moins explicitement, à l’atome un principe d’activité transitive que nous dénommons impénétrabilité (solidité, antitypie). Cette qualité occulte se rattache, par une association d’images coutumière, à la matière. Mais le saut logique devient apparent si, au lieu d’atomes corpusculaires, nous posons des points dynamiques ; la matière ainsi conçue perd toute possibilité de réagir, de manifester de la masse ou de l’inertie.

Considérons cependant que si l’action mécanique nous semble inintelligible, ce n’est pas faute de nous être familière. L’action par contact nous apparaît, à tous égards, comme la chose la plus naturelle du monde. Nous en avons la conscience immédiate par le sens du toucher et le sens musculaire, nous la subissons et l’exerçons nous-mêmes continuellement et elle est la source principale d’où découle notre concept de matière. Quant à la notion de force qui caractérise les hypothèses dynamiques, il est certain qu’à tout instant je subis l’action de la gravitation, que je n’ai qu’à tenir un objet dans la main pour le sentir tendre vers la terre, que toutes les parties de mon corps y tendent également, ce que je sens aussi fort bien et à tout instant, puisque je suis contraint de calculer mes mouvements en conséquence. La notion de force dérive d’ailleurs d’une sensation que nous désignons quelquefois par le même terme, mais que nous distinguons mieux en l’appelant effort. Mais cette action que j’exerce ou dont je suis l’objet, certaine en tant que fait, demeure inaccessible à mon entendement. C’est ce que nul n’a mieux compris, ni exprimé avec plus de vigueur que Hume. « La première fois, dit ce philosophe, que l’on voit le mouvement communiqué par impulsion, par exemple dans le choc de deux billes sur le billard, on peut dire que ces deux événements sont conjoints ; mais on n’oserait prononcer qu’ils

  1. H. Lotze. Grundzuege der Naturphilosophie, 2e éd. Leipzig, 1889, p. 35.