Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la physiologie arrive un jour à n’être plus qu’un chapitre de la physique, et que nous parvenions à connaître exactement ce qui se passe dans un nerf, nous savons d’avance, selon Leibniz et Herzen, qu’en y pénétrant nous ne pourrons y trouver que des mouvements mécaniques et rien de ce qui ressemble à une sensation. Il ne nous reste donc, si nous voulons continuer à prétendre avoir réellement expliqué l’univers, qu’à nier la sensation ou, si l’on aime mieux, à la traiter de quantité négligeable, d’ « opinion » ou de convention, comme Démocrite ; nous dirions d’épiphénomène. Cela est, évidemment, étrange. Le phénomène n’est que sensation ; expliquer le phénomène, c’est donc expliquer la sensation. Comment prétendrait-on nous faire prendre pour une explication ce qui est une négation pure et simple ?

Nous ne sommes pas surpris de cette constatation. Nous connaissons le véritable rôle du mécanisme et nous remarquons seulement que, serviteur fidèle de la causalité, il commence dès l’origine, en niant une partie de la réalité, l’œuvre de destruction du monde extérieur, œuvre que les principes de conservation et d’unité se chargent de mener ensuite à bonne fin. Assurément, les protestations des philosophes sont, à ce point de vue, tout à fait justifiées. Mais il est clair qu’en ce qui concerne la science, elles sont condamnées à rester sans effet. Si nos efforts n’ont pas été entièrement vains, le lecteur a saisi combien profondément les conceptions mécaniques pénètrent la science, à quel point elles font corps avec elle. Or, la sensation reste et restera toujours, fatalement, en dehors du mécanisme. Entendons-nous, cependant ; nous avons dit la sensation et non la sensibilité. Nous pouvons fort bien imaginer une théorie expliquant mécaniquement comment un organisme réagit d’une façon déterminée sous l’influence d’un rayon de lumière. La lumière étant un mouvement, on conçoit qu’elle puisse engendrer du mouvement. Mais si je suppose que l’organisme en question a une sensation de la lumière, cette sensation reste inaccessible à l’explication mécanique, tout comme la mienne. Affirmer qu’elle est un mouvement n’a aucun sens, car ma sensation de la lumière, j’en ai la certitude immédiate, n’a rien de commun avec celle du mouvement.

Nous trouvons donc ici une réelle limite à l’explication causale, en tant du moins que celle-ci s’exerce sous la forme du mécanisme ; et il est clair que cette limite est infranchis-