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En dépit de la très grande et très légitime autorité qui s’attache aux trois noms de Lotze, de MM. Boutroux et Bergson, on ne voit pas que la science ait jusqu’ici tenu compte de ces doctrines. Cela s’explique aisément : M. Bergson, qui formule le problème avec le plus de précision, retourne fort ingénieusement la théorie électro-magnétique de la lumière ; mais cette réversion en modifie profondément l’essence. Le physicien qui considère les phénomènes électriques comme simples et la lumière comme une forme de ces phénomènes refusera certainement de suivre ce qu’il considérera comme une théorie absolument opposée. Il pourra tout au plus concéder que les vibrations électriques, par suite d’un processus inconnu qu’elles subissent dans les extrémités des nerfs, se compliquent de manière à se transformer en ondes que nous appelons lumineuses. Mais cette hypothèse ne sera d’aucun secours à M. Bergson, puisqu’il restera toujours acquis que les vibrations, en dehors du corps, sont purement électriques, ne participent en rien à la nature de la lumière et sont susceptibles de créer chez nous des sensations autres que lumineuses.

Il est curieux que ces conceptions se soient produites seulement depuis le xixe siècle, c’est-à-dire depuis que la théorie de l’énergie spécifique des nerfs a été formulée, alors que, cependant, depuis fort longtemps, on admettait que le son était dû à des vibrations matérielles, en d’autres termes que les mêmes vibrations pouvaient être ressenties directement comme telles par les organes du tact et comme sons par l’oreille.

Mais cette théorie ne fait que préciser ce qui, en fait, constitue le postulat fondamental du mécanisme. Dès le début et a priori, le mécanisme doit reconnaître que la sensation demeure pour lui inexplicable et il ne lui reste dès lors d’autre ressource que de faire bonne mine à mauvais jeu, de triompher hautement comme d’un résultat acquis de ce qui est la reconnaissance de la limite qu’il ne saurait franchir. Déclarer que la qualité de la sensation, son quid proprium est engendrée par l’organe, n’existe pas en dehors de lui, c’est, en apparence, délimiter plus nettement le problème, l’écarter de la physique pour le cantonner dans la physiologie, en remettre la solution à une époque où cette dernière science aura à son tour accompli des progrès analogues à ceux de la première ; mais ce n’est là qu’un trompe l’œil. À supposer que