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Cependant, en dépit de l’imposant ensemble de faits concordants qui tendent à confirmer, en cette matière, les conceptions atomistiques, des objections ont été soulevées par les philosophes. Czolbe est allé le plus loin dans cette voie. Il suppose que les ondes sonores et lumineuses sont en elles-mêmes douées de ces qualités et qu’elles ne se propagent au cerveau que par un processus purement mécanique ; toutes les preuves contraires de la science lui semblent purement apparentes et destinées à disparaître avec les progrès futurs de la physique[1]. Lotze s’est exprimé avec plus de réserve ; il estime que les preuves qu’on fait valoir sont insuffisantes ; rien ne nous empêche de supposer que les choses en elles-mêmes sont rouges de couleur ou douces de saveur ; elles n’agissent sur nous que par des mouvements qui ne sont, comme tels, ni rouges, ni doux, mais il se pourrait que ces mouvements recréent en nous les qualités primitives des objets, à la manière du téléphone dont le récepteur rend à l’énergie électrique sa forme primitive[2]. M. Boutroux serre de plus près le problème de l’énergie spécifique des nerfs. « S’il arrive qu’un même agent impressionne différemment les différents sens, c’est peut-être parce que, sous une apparence simple, il est complexe et comprend en réalité autant d’agents distincts qu’il cause de sensations diverses. La chaleur, la lumière et l’électricité, par exemple, peuvent s’accompagner les unes les autres, d’une manière plus ou moins constante, sans pour cela se confondre en un seul et même agent[3]. » La plupart des phénomènes que l’on cite à ce propos sont basés sur des excitations électriques ; il importe donc surtout de s’expliquer sur la nature de ces dernières. C’est ce qu’a fait M. Bergson. « On peut se demander, dit-il, si l’excitation électrique ne comprendrait pas des composantes diverses répondant objectivement à des sensations de différents genres et si le rôle de chaque sens ne serait pas simplement d’en extraire la composante qui l’intéresse. » Le physicien a pu identifier lumière et perturbation électro-magnétique. On peut dire inversement que ce qu’il appelle ici perturbation électromagnétique est de la lumière[4].

  1. Cf. Lange. Geschichte des Materialismus, 4e éd. Iserlohn, 1882, p. 459 ss.
  2. Lotze. Metaphysik. Leipzig, 1879, p. 505-507.
  3. Boutroux. De la contingence des lois de la nature. Paris, 1874, p. 73.
  4. Bergson. Matière et mémoire. Paris, 1903, p. 41.