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n’équivaut pas à une fois et demie la sensation de son ut. L’oreille perçoit chaque sensation élémentaire séparément et deux sensations simultanées lui font toujours l’impression de quelque chose de composé ; tandis que pour l’œil, un mélange de couleurs crée l’impression d’une chose simple : un mélange de rouge et de bleu nous donne la sensation du violet, et un mélange de bleu et de jaune, celle du vert, tous deux paraissant comparables aux couleurs du spectre. Un ensemble de tons très rapprochés affecte agréablement l’œil et très désagréablement l’oreille[1].

Il est tout aussi certain qu’en dehors des vibrations par lesquelles nos organes sont directement affectés, il en existe d’autres, de tout point analogues et que nous ne percevons pas directement. Le spectre réel, nous le savons, s’étend énormément des deux côtés, au delà du rouge et du violet ; ces vibrations ne font aucune impression sur notre rétine ; pourtant, à tous autres égards, elles se comportent absolument comme la lumière que nous connaissons, car elles peuvent être réfractées, réfléchies, polarisées et subir l’interférence. De même, nous ne percevons directement ni les ondes hertziennes, ni les rayons de Rœntgen, ni les rayons cathodiques ; nous ne percevons même pas l’électricité qui est une des formes les plus importantes de l’énergie, peut-être sa forme fondamentale. Il est clair que si, avec Condillac[2], nous supposons un être dont les organes de sensation seraient différents des nôtres, dont l’œil, par exemple, percevrait à la manière de notre oreille, ou distinguerait la lumière polarisée, ou qui aurait des organes pour percevoir directement l’un ou l’autre des mouvements de l’éther dont nous venons de parler, le monde extérieur lui paraîtrait très différent de ce qu’il est pour nous. Il se peut même que cette supposition se trouve réalisée dans la nature, car il n’est pas certain que les organes des animaux soient absolument pareils aux nôtres ; il est au contraire assez vraisemblable qu’ils sont encore affectés là où les nôtres cessent de l’être ; peut-être même les animaux disposent-ils d’organes qui nous font complètement défaut[3].

  1. M. Kozlowski (Sur la nature des combinaisons chimiques, Congrès de philosophie de 1900, vol. III, p. 533, 540), par une ingénieuse hypothèse, rattache la différence entre l’ouïe et la vue au fait que les sensations de ce dernier organe ont un caractère spatial qui fait défaut aux sons.
  2. Condillac. Logique, Œuvres. Paris, 1798, vol. XXIl, p. 77.
  3. Haeckel. Les énigmes de l’univers, trad. Bos. Paris, 1902, p. 341. — Le Dantec. Les limites du connaissable. Paris, 1903, p. 112.