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sur l’identité des vibrations qui font naître chez nous les sensations de chaleur et de lumière. Un seul et même mouvement de l’éther peut, en frappant notre épiderme et notre œil, être ressenti par nous sous ces deux formes si diverses. Il est à remarquer que les faits de cet ordre n’avaient pas été prévus par les raisonnements déductifs ; certains phénomènes connus de très longue date, tels que l’apparition de sensations lumineuses par suite d’une pression exercée sur l’œil, étaient, comme le fait ressortir Helmholtz, expliqués de tout autre façon : les anciens opticiens supposaient qu’il naissait réellement dans ce cas de la lumière objective et Joh. Muller a dû démontrer expérimentalement le contraire[1] ; la science, tout en confirmant les conceptions aprioriques, les a dépassées.

Aux démonstrations expérimentales il convient d’ajouter des raisonnements un peu plus indirects, qui semblent aussi prouver que la forme des sensations, leur qualité, doit nous appartenir en propre. Ainsi, tout le monde est d’accord pour supposer que son, lumière, chaleur, en dehors de nous, ne peuvent être que des vibrations. Ce sont des multiplicités ; or, ils ne nous apparaissent pas comme telles, une belle couleur unie nous fait certainement l’impression de l’unité. L’intensité de notre sensation, comme l’a fait remarquer Tyndall[2], varie tout autrement que l’énergie du mouvement de vibration qui en est cause. D’ailleurs, il n’y a aucune analogie dans la manière dont nos organes perçoivent ce que nous sommes pourtant obligés de concevoir comme étant analogue en dehors d’eux. L’oreille perçoit une dizaine d’octaves alors que l’œil doit se contenter d’une sixte à peine. Dans ces limites, les diverses sensations paraissent à l’oreille nettement graduées ; parmi trois tons elle désignera sans hésitation celui qui doit être situé entre les deux autres, alors que pour l’œil les sensations sont équivalentes et que, si nous n’avons pas appris par cœur l’échelle des couleurs spectrales, nous ne voyons pas plus de raison de placer le jaune entre le rouge et le bleu qu’inversement le rouge entre le jaune et le bleu. Toutefois, même pour l’oreille, la sensation n’a rien de quantitatif — celle d’un sol, selon la juste remarque de Cournot[3],

  1. Helmholtz. Vortraege, 4e éd. Braunschweig, 1896, vol. II, p. 220.
  2. Tyndall. Fragments of Science. Londres, 1871, p. 137 et 195.
  3. Cournot. Matérialismeetc. Paris, 1875, p. 398.