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point identique à la cause, il ne fait qu’un avec elle et n’est pas un effet véritable[1]. »

Même en admettant pour un instant qu’il s’agisse non pas de la représentation d’un phénomène, mais d’un rapport statique de deux termes, nous pouvons établir maintenant qu’il ne saurait y avoir équivalence. Cette expression est empruntée à la vie économique. Quand j’affirme que telle chose vaut tel prix, cela signifie que je peux l’acheter ou la vendre à ce prix, la convertir en une somme d’argent ou convertir une somme d’argent en cette chose. Si, par exemple, la rente française est au pair, je pourrai acheter un titre de rente de 3 francs pour 100 francs et le revendre autant. Les phénomènes paraissent se comporter de même : le pendule, nous affirme-t-on, aura acquis, au point le plus bas de sa course, une vitesse suffisante pour remonter à la hauteur d’où il est parti ; et si nous avons formé l’oxyde de mercure par la réunion du mercure et de l’oxygène, nous pouvons retrouver ces corps en le décomposant. Mais nous savons maintenant que ce n’est là qu’une apparence. En réalité, aucun phénomène n’est possible sans un flux d’énergie, et ce flux a toujours lieu dans la même direction. Toujours l’énergie que nous retrouvons au bout est dégradée, jamais elle ne vaut ce que valait celle du début, jamais le conséquent ne saurait être l’équivalent de l’antécédent. Si l’on veut encore se servir de l’image de l’objet acheté ou vendu, il faut penser non pas à ce qui se négocie en bourse, à ce qui a un cours, mais à ce qu’on acquiert dans un magasin : si, aussitôt l’achat effectué, on voulait le reconvertir en argent, on perdrait inévitablement.

L’identité est le cadre éternel de notre esprit. Nous ne pouvons donc que la retrouver dans tout ce qu’il crée, et nous avons constaté, en effet, que la science en est pénétrée. Mais ce n’est pas là toute la science. Au contraire, le principe de Carnot fait partie intégrante de la science. Il n’est pas tout à fait juste de dire, comme Hannequin, que « la science ne pénètre rien du réel Devenir[2] », ou bien alors il faut donner au verbe pénétrer le sens de : rendre intelligible, rationnel. En effet, cette proposition n’est exacte que pour la science explicative. La science empirique a, au contraire,

  1. Boutroux. De la contingence des lois de la nature. Paris, 1874, p. 29.
  2. Hannequin, l. c., p. 285.