Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

signe d’égalité. L’équation Hg + O = HgO, prise à la lettre, paraît signifier qu’il ne s’est rien passé du tout, puisque tout ce qui se trouvait dans l’antécédent se retrouve dans le conséquent. Or, ce qui s’est passé en réalité, au cours de ce phénomène, Lavoisier qui, nous l’avons vu, s’est servi de cette réaction pour l’établissement de sa théorie, le décrit en ces termes : « J’ai renfermé dans un appareil convenable et dont il serait difficile de donner une idée sans le secours de figures 50 pouces cubiques d’air commun ; j’ai introduit dans cet appareil 4 onces de mercure très pur et j’ai procédé à la calcination de ce dernier, en l’entretenant, pendant douze jours, à un degré de chaleur presque égal à celui qui est nécessaire pour le faire bouillir[1]. » Au bout de cette pénible opération il a vu en effet une partie du métal se transformer en oxyde. De tout cela, qui est pourtant le phénomène, l’équation ne dit rien, ou pis, elle l’escamote, en affirmant que les choses sont restées, après l’opération, ce qu’elles étaient avant. Le chimiste qui, dans un laboratoire, tente de refaire une opération de chimie organique un peu compliquée sait quelle ironie cache bien souvent ce signe d’égalité.

Mais, en vérité, cela n’est-il pas évident ? Qui dit phénomène, dit changement. Comment dès lors pourrait-il y avoir identité entre l’antécédent et le conséquent ? J’ai fait entrer un rayon de lumière par un trou fait dans le volet et ce rayon a formé une tache blanche sur le mur opposé. J’interpose un prisme et j’aperçois un spectre. Vous me démontrez fort savamment que la lumière blanche réfractée par le prisme a produit le spectre multicolore. Je veux bien vous croire, à condition que vous n’essayiez pas de me persuader qu’il y a identité et que la lumière blanche, plus le prisme interposé, est égale au spectre. Cela, je ne le croirai jamais, de même que je ne croirai pas qu’il ne s’est rien passé lors de l’oxydation du mercure. Je sais bien qu’il n’y a pas identité, qu’il s’est passé quelque chose, sans quoi vous n’auriez pas eu à vous mettre en peine d’explication. Comme le dit M. Boutroux : « Comment concevoir que la cause ou condition immédiate contienne vraiment tout ce qu’il faut pour expliquer l’effet ? Elle ne contiendra jamais ce en quoi l’effet se distingue d’elle, cette apparition d’un élément nouveau, qui est la condition indispensable d’un effet de causalité. Si l’effet est de tout

  1. Lavoisier. Œuvres. Paris, 1862, vol. II, p. 175.