Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Partout et toujours, contrairement à ce que voudrait nous faire supposer l’illusion causale, le flux des choses est plus essentiel en soi, et plus important à connaître pour nous, que leur conservation.

Nous pouvons maintenant, mieux que nous ne l’avons fait dans un des chapitres précédents, saisir ce qu’a d’illusoire le signe d’égalité appliqué à la représentation des phénomènes. Si, de cette représentation, nous passons à la réalité, l’illusion d’identité s’évanouit aussitôt. Une assiette a été cassée, j’en rapproche les morceaux, aucun ne manque et je n’hésiterai pas à exprimer ce fait par une équation ; en appelant l’assiette A et les morceaux B, C et D, j’écrirai : A = B + C + D). Mais, à la vérité, cette équation semble affirmer qu’il y a égalité entre les deux états de l’assiette : or, je sais fort bien que si j’essayais de m’en servir maintenant, j’aurais des mécomptes. Quatre et trois est assurément égal à sept ; mais si le premier chiffre représente une poutre de quatre mètres de long et le second une de trois mètres, l’architecte ne pourra sans aucun doute les employer quand il aura besoin d’une poutre de sept mètres. Ces choses-là ne nous choquent point, nous n’avons pas un seul instant perdu de vue qu’il s’agit, au fond, d’une diversité et non d’une égalité. La science, cependant, va parfois très loin dans cet ordre d’idées. Ainsi, une expression telle que « quantité de mouvement » est plutôt mal choisie, en ce qu’elle peut donner, ne serait-ce que très superficiellement, l’illusion que le mouvement est une véritable quantité susceptible d’addition ou de soustraction. Or, même si j’ai deux mobiles animés de la même vitesse dans la même direction, je ne saurais, par aucun artifice, les transformer en un seul, doué d’une vitesse double ; les deux états étant d’ailleurs, comme on sait, fort différents au point de vue de l’énergie. Ce qu’on entend traiter dans ce cas comme une quantité, ce n’est pas le mouvement lui-même, mais bien sa projection sur un axe, ce qui n’a évidemment avec la réalité que des rapports fort lointains.

Peut-on prétendre que l’équation, si elle ne comporte pas l’égalité entre deux termes, en affirme l’équivalence ? Nous avons vu plus haut que ce n’est pas là le but réel des équations chimiques qui expriment, non pas des rapports statiques, mais un devenir. D’ailleurs, en l’exprimant, elles le nient, puisqu’elles réunissent l’antécédent et le conséquent par le