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est resté le même, que ce qui est changé est peu important à regard de ce qui est demeuré ? Quant à l’énergie, le moins qu’on en puisse dire, c’est que sa conservation nous est d’un bien mince secours pour nous garantir l’identité de l’univers dans le temps. Il y avait une masse d’eau dans un réservoir haut placé, je l’ai utilisée pour faire tourner un moulin, beaucoup d’énergie s’est dissipée en route par le frottement, etc., le reste m’a servi à transformer du blé en farine ; et pourtant l’énergie s’est « conservée », elle est restée « constante ». On trouve quelquefois affirmé que la conservation de l’énergie nous garantit l’indestructibilité du mouvement. « Ceux qui s’imaginent que les forces actives diminuent d’elles-mêmes dans le monde, ne connaissent pas bien les principales lois de la Nature et la beauté des ouvrages de Dieu » a dit Leibniz[1]. Mais il y a là une sorte d’équivoque. La proposition est exacte si, sous le terme mouvement, nous comprenons aussi l’agitation intérieure des parties, c’est-à-dire si nous l’étendons à toutes les formes de l’énergie. Mais si nous voulons parler du mouvement proprement dit, du déplacement des corps les uns par rapport aux autres, c’est certainement une erreur. Ce mouvement, le principe de Carnot nous le démontre, tend continuellement à s’éteindre, à se transformer en chaleur et à se dissiper ensuite. Quand on nous dit que les principes de conservation règlent la marche du monde, il faut préciser. Ils la règlent en ce sens qu’ils limitent le changement, qu’ils nous apprennent que certains rapports ne sauraient se modifier, quoi qu’il arrive. Mais ces principes ne nous indiquent pas quel est le changement qui doit s’opérer, ni même si un changement s’opérera. « Dans tous les cas où le principe de la conservation de l’énergie a contribué à étendre nos connaissances sur les processus élémentaires, d’autres lois encore ont été en jeu, lois qui impliquent le concept de tendance » dit très justement M. Heim[2], et il cite comme exemples de ces concepts de tendance, la force, la pression, la température.

En ce qui concerne la chaleur même, la considération de l’entropie, de la chaleur convertible ou non en mouvement, est évidemment, à tous les points de vue, beaucoup plus importante pour un système que celle de son énergie.

  1. Leibniz. Recueil des lettres, etc., 4e écrit, § 38, éd. Erdmann, p. 757.
  2. Helm. Die Lehre von der Energie. Leipzig, 1887, p. 58.