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tement contraire au principe de Carnot. M. Gouy n’hésita pas, dans ces conditions, à rattacher ce phénomène à la théorie cinétique de la matière[1]. Les particules d’un liquide doivent être dans une agitation constante ; leur nombre est très grand et leurs vitesses sont sans doute considérables, mais leurs masses sont très petites. Si le corps solide immergé dans le liquide n’est pas lui-même d’une taille qui se rapproche de l’ordre de grandeur des particules élémentaires, les chocs qu’il reçoit de tous côtés s’équilibrent avec une exactitude suffisante pour qu’il n’y ait pas mouvement. Au-dessous d’une certaine limite cet équilibre ne se produit plus et le corps immergé commence par conséquent à se mouvoir ; il doit se mouvoir d’autant plus rapidement qu’il est plus petit, ce que l’expérience confirme. Mais nous n’avons pas l’espoir d’accroître indéfiniment la puissance de pénétration de nos microscopes, la nature de la lumière s’y oppose, et les plus petits corps que nous soyons en mesure d’observer sont encore très grands en comparaison des particules élémentaires du liquide ; c’est pourquoi les mouvements des premiers sont très lents comparés à ceux que nous devons supposer aux seconds.

La théorie de M. Gouy a été à peu près universellement acceptée, et il semble bien en résulter, comme le formule M. Poincaré, que « pour voir le monde revenir en arrière, nous n’avons plus besoin de l’œil infiniment subtil du démon de Maxwell, notre microscope nous suffit[2] ».

On peut cependant prévoir que si même la théorie de Maxwell ou une autre analogue pouvait s’adapter exactement aux faits, elle ne satisferait pas entièrement l’esprit ; nous éprouverions toujours devant ces sortes d’explications un certain malaise. M. Poincaré l’a constaté en déclarant qu’il se défie d’un raisonnement « où l’on trouve la réversibilité dans les prémisses et l’irréversibilité dans les conclusions[3] ». C’est toucher au nœud même de la question. Les phénomènes de la nature nous apparaissent comme ayant une direction déterminée dans le temps, comme irréversibles ; les expliquer,

  1. G. Gouy. Le mouvement brownien et les mouvements moléculaires. Revue générale des Sciences, 1895, p. 5 ss.
  2. H. Poincaré. La valeur de la science, p. 184. Cf. id. La science et l’hypothèse, p. 209.
  3. id. Le mécanisme et l’expérience. Revue de métaphysique, t. I, 1893, p. 537.