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l’un à l’autre ce qui, évidemment, est contraire au fondement même du principe de Carnot. On a tenté d’écarter cette difficulté par une sorte d’hypothèse auxiliaire, mais elle est peu satisfaisante[1].

Les conceptions de l’autre groupe ont été développées par Maxwell et, après lui, par Gibbs et Boltzmann ; elles partent de ce principe que, le nombre des particules élémentaires étant nécessairement très grand, il est possible de produire des changements apparents en modifiant l’ordre dans lequel elles sont classées. Ainsi, supposons deux récipients remplis d’un même gaz à des températures différentes ; d’après la théorie cinétique, la moyenne des vitesses des particules dans chaque récipient sera différente. Mettons-les en communication ; les particules tendront à se mêler et, au bout de quelque temps, nous aurons partout la même vitesse moyenne qui sera nécessairement comprise entre les limites des vitesses moyennes des masses gazeuses primitives : la température s’est égalisée et se trouve être une moyenne entre les températures respectives des deux récipients. C’est, on le voit, une explication causale modèle, puisque, sous l’apparence du changement et par le seul artifice du déplacement, on nous fait voir une réelle identité. L’irréversibilité, dans cette hypothèse, cesserait d’être une règle générale si nos moyens d’action étaient moins insuffisants, c’est-à-dire si nous pouvions agir directement sur les particules élémentaires. Supposons un être suffisamment doué à ce point de vue (le fameux « démon » de Maxwell) ; il pourra, après que la température sera devenue égale dans les deux récipients, en limitant la communication entre eux à des orifices qu’il ouvrira et fermera à volonté, laisser passer du premier au second des particules ayant une vitesse plus grande, et dans le sens inverse celles qui en ont une plus petite. Il aura ainsi, au bout d’un certain temps, rétabli les deux masses gazeuses primitives à températures différentes. D’ailleurs, l’égalité de la température qui finit par s’établir entre des masses qui communiquent n’étant, comme on dit, qu’un fait de « statistique », il n’est pas impossible, absolument parlant, que des différences se produisent par les hasards de la distribution ; cela est seulement infiniment peu probable et cette probabilité est d’autant moindre que le nombre des particules est

  1. H. Poincaré. Thermodynamique. Paris, 1892, p. 400-422.