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serait forcément pendant les périodes de « reconcentration » de Rankine ? Pouvons-nous admettre, pour être plus précis, que la chaleur, au lieu de passer d’un corps chaud à un corps froid, prenne le chemin inverse ? Hindous ou Grecs pouvaient croire qu’en continuant son évolution dans le temps, l’univers ramènerait les mêmes phénomènes ; nous sommes forcés au contraire de supposer qu’il renversera sa marche : ce sera alors véritablement le monde retourné du cinématographe mû en sens inverse, le monde où les vibrations de chaleur se concentreront sur les roues et les essieux de la locomotive, où la fumée, formée au loin, rentrera dans la cheminée avec les gaz de combustion, pour y reformer du charbon, où l’être organisé naîtra vieux pour rajeunir avec le temps et rentrer dans l’œuf, où il marchera à reculons et digérera avant d’avoir mangé. Comment se figurer la fin d’une période de « dissipation » et le commencement d’une époque de « reconcentration » ? Une balle, lancée normalement contre un mur, rebondit dans la direction inverse ; mais c’est qu’elle a rencontré un obstacle. Où serait le mur contre lequel rebondirait l’histoire de l’univers ou seulement celle d’un système planétaire ? L’univers, pour nous, semble se rapprocher indéfiniment d’un état futur, l’état d’équilibre ; mais cet état, à supposer qu’il puisse être atteint, nous apparaît comme infiniment et indéfiniment stable. Là où l’énergie sera partout au même niveau, notre imagination se refuse à croire que de nouvelles « chutes » puissent se créer ou, ce qui revient au même, cette création lui semble infiniment peu probable.

Aussi les développements les plus récents de la physique tendent-ils à faire prévaloir, pour les phénomènes auxquels nous sommes obligés de supposer une grande stabilité dans le temps (tels que le rayonnement solaire), des explications très différentes de celles dont nous venons de parler. Comme on sait qu’il n’y a pas d’équivalence entre les phénomènes de dissipation et ceux de concentration et que le renversement de la marche actuelle du monde — même dans l’espace ou le temps lointains — apparaît comme inadmissible, on cherche pour l’énergie qui se dissipe une source sinon infinie (ce qui est impossible), du moins tellement abondante qu’elle puisse suffire, sans diminution appréciable, à l’énorme prodigalité de la nature. Cette source, on croit l’avoir trouvée dans l’énergie intraatomique. On la suppose considérable, d’un ordre de grandeur très supérieur à toutes celles que nous avons l’ha-