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indirectement par la périodicité. C’est la même conception qui a été développée amplement par Herbert Spencer dans sa théorie bien connue des « demi-périodes d’organisation et de désorganisation ». Spencer peut-être et certainement Rankine n’avaient pas conscience qu’ils usaient d’une très vieille échappatoire. Mais les questions auxquelles nous touchons ici se rattachent aux éternelles assises de l’esprit humain : c’est à ce propos surtout que le « rien de nouveau sous le soleil » a chance de trouver une application au moins partielle : il ne faut donc point s’étonner de voir les époques quelque peu confondues. Les anciens, évidemment, ignoraient le principe de Carnet. Mais si cet énoncé présente l’immense avantage de donner une forme scientifique au fait de l’irréversibilité des phénomènes, il est incontestable que l’humanité a eu de tout temps, plus ou moins obscurément, conscience de ce fait. Que les phénomènes se passent dans une direction déterminée, qu’ils aient un commencement et une fin, qu’aujourd’hui ne soit pas absolument pareil à hier, que le temps marche, c’est ce dont nous avons tous la sensation immédiate. Cependant, dans le flux éternel des choses, certaines au moins, si elles ne restent pas identiques à elles-mêmes, paraissent subir des changements cycliques qui les ramènent à leur point de départ. Le jour et la nuit, les lunes, les saisons se suivent dans un ordre déterminé et l’évolution de l’être organisé, si elle ne peut être renversée à volonté, se renouvelle pourtant, reproduisant automatiquement, à certains intervalles, des situations identiques ou très semblables. Et ainsi, tout naturellement, naît la supposition que l’univers, s’il n’est pas immuable, comme l’exigerait la causalité stricte, pourrait cependant ne se mouvoir que le long d’une courbe fermée, retourner après un laps de temps déterminé à un état antérieur. C’est le serpent ourobore (qui se mord la queue). On retrouve des hypothèses de ce genre dans les croyances des Hindous. Chez les Grecs, elles ont trouvé leur expression dans la conception « de la grande année » d’Héraclite devenue celle des « cycles » d’Empédocle et développée plus tard par les Stoïciens avec une rigueur toute scientifique[1]. C’est à cette même conception que se rattachent les vers où Virgile prévoit que les événements du passé se reproduiront et que « le grand Achille sera de

  1. Cf. Renouvier. Esquisse d’une classification systématique des doctrines philosophiques. Paris, 1885, p. 129.