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rait être de nouveau concentrée. L’espace interstellaire doit âtre rempli par un milieu parfaitement transparent et diathermane, c’est-à-dire incapable de transformer la lumière ou la chaleur rayonnante en autre chose. Supposons maintenant que ce milieu ait, dans toutes les directions autour du monde visible, des limites fixes au delà desquelles il n’y aurait plus que l’espace vide. Dès lors, en atteignant ces limites, la chaleur rayonnante émanée du monde visible serait réfléchie et, le cas échéant, concentrée dans des foyers. Dans chacun de ces derniers la chaleur serait telle que si un corps céleste qui ne constituerait plus, dans cette période de son évolution, qu’une masse complètement éteinte, y parvenait, il serait immédiatement volatilisé et dissous en ses éléments, produisant ainsi une accumulation d’énergie chimique. Rankine termine en se demandant si quelques-uns d’entre les points lumineux que nous apercevons dans l’espace lointain ne seraient pas, non pas de véritables étoiles, mais précisément des foyers de ce genre dans l’éther interstellaire.

Il est à peine besoin d’indiquer que cette curieuse hypothèse fait naître une foule d’objections. Pour n’indiquer que la plus apparente, nous sommes obligés de supposer à l’éther une force d’élasticité énorme. Comment admettre dès lors qu’il se termine nettement quelque part ? Il faudrait un mur de diamant. Mais le plus curieux, c’est que Rankine, sans y prendre garde, pèche directement contre les fondements mêmes du principe de Carnot, puisqu’il suppose que la chaleur est susceptible de passer directement, par rayonnement, de corps plus froids (les corps du monde visible) à des corps plus chauds (les « foyers » de l’espace interstellaire). C’est Clausius qui a attiré l’attention sur cette anomalie[1]. Il se peut d’ailleurs que Rankine lui-même en ait eu quelque peu le sentiment, car, dans une partie du travail en question, il semble proposer prudemment d’accepter la dissipation de l’énergie pour l’époque présente et de réserver sa « reconcentration » pour une époque « infiniment éloignée ».

On échappe par ce moyen à l’étreinte de la loi de changement, en admettant que le changement s’opérera en sens inverse à une époque future pour, apparemment, se refaire dans le même sens, une fois cette nouvelle époque terminée. En d’autres termes, on ne maintient pas l’identité stricte, mais on y revient

  1. Cf. Verdet. Théorie mécanique de la chaleur. Paris, 1868-1872, p. 167.