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comprendra aisément combien, dans ces conditions, les philosophes sont excusables d’avoir, trop souvent, suivi ces exemples, en se contentant d’accepter les résultats tels que la science paraissait les leur apporter, très heureux de leur apparente généralité « philosophique ».

Dans le même ordre d’idées, on constate que dès que le principe de Carnot fut solidement établi dans la science par Clausius, des tentatives se produisirent en vue d’échapper aux conséquences qu’il entraîne. Non pas certes que l’on pût nier le phénomène fondamental ni même les propositions qui s’en déduisent avec une rigueur absolue. Mais on éprouvait comme une répugnance secrète devant l’idée d’un changement continu de l’univers dans la même direction[1]. C’est évidemment cette tendance qui a fait naître toute sorte d’hypothèses sur la transformation et reconcentration de la chaleur perdue par le rayonnement du soleil[2]. Résumons la théorie formulée par Macquoru Rankine, d’autant plus remarquable qu’elle émane d’un physicien des plus éminents, d’un des créateurs de la thermodynamique[3]. Le but poursuivi par Rankine est clairement indiqué dans le titre de son travail : Sur la reconcentration de l’énergie mécanique de l’univers[4]. Après avoir constaté que « dans l’état actuel du monde connu » la tendance à la conversion de toutes les formes d’énergie en chaleur et à la diffusion de cette même chaleur domine la nature, l’auteur se demande si l’on ne peut se figurer que cette énergie pour-

    l’entropie était exacte, il faudrait qu’à cette fin du monde qu’on admette qu’il correspondît aussi un commencement… Ces deux idées, d’après notre conception moniste et rigoureusement logique du processus cosmogénétique éternel, sont aussi inadmissibles l’une que l’autre ; toutes deux sont en contradiction avec la loi de substance… La seconde proposition de la théorie mécanique de la chaleur contredit la première et doit être sacrifiée. » — Le principe de Carnot ne saurait s’appliquer qu’à « des processus particuliers », mais « dans le grand Tout du Cosmos, les choses se passent bien autrement ».

  1. M. Helm. Die Lehre von der Energie. Leipzig, 1887, p. 53, a fort bien noté cette disposition d’esprit des contemporains de Clausius et démêlé qu’elle avait sa source dans les concepts de conservation.
  2. On trouvera l’exposé d’une hypothèse analogue à celle de Rankine chez Siemens. Scientific Works. Londres, 1889, p. 433. Des suppositions du même genre ont été formulées entre autres par Lyell. Principles of Geology, 10e éd.. Londres, 1868, p. 242. et aussi, plus récemment, par Zehnder. Die Mechanik des Weltalls. Freiburg, 1897, p. 466. C’est cette dernière théorie qui a reçu la chaleureuse approbation de M. Haeckel.
  3. C’est l’avis de Maxwell. Scientific Papers, vol. II, p. 62.
  4. M. Rankine. On the Reconcentration of the Mechanical Energy of the Universe. Phil. Mag., IV, 4, 1852, p. 358 ss.