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également remarquable. Carnot n’était pas, comme J. Rey ou J. R. Mayer, un homme censé n’être pas « du métier » ; au contraire, nul ne contestait sa compétence. Son opuscule ne passa pas inaperçu et les applications pratiques que Carnot avait faites de son principe demeurèrent dans la science[1]. Clapeyron, c’est entendu, dénatura l’enseignement du maître ; mais il faut bien supposer que lui et ses contemporains firent preuve d’un étrange manque de compréhension à l’égard de cet enseignement.

L’impression qui se dégage de cet historique se trouve confirmée si nous tournons nos regards vers la science contemporaine. Nous avons parlé plus haut de la place que le principe occupe dans les manuels. Évidemment, dès le début, l’irréversibilité de la communication de la chaleur est implicitement affirmée. Mais on dirait qu’on tient, à dessein, à laisser le plus longtemps possible cette vérité dans l’ombre. Nous avons vu, en examinant les principes de conservation, de quels semblants de démonstrations on a coutume de se contenter à leur égard et comment on n’hésite jamais à avoir recours aux extrapolations les plus vastes. Que l’on compare à ces généralisations hâtives la manière dont on croit devoir procéder à l’égard du principe de Carnot. La démonstration, admirable de rigueur et de prudence, donnée par M. Poincaré dans sa Thermodynamique, est un véritable modèle du genre. Le contraste est peut-être plus marqué encore si, abandonnant la vraie science, nous nous tournons vers les résumés populaires. Tant qu’il s’agit des principes de conservation, nulle généralisation ne semble trop vaste, nulle métaphore trop hardie. Que l’énergie (on dit encore quelquefois la force, parce que ce terme semble embrasser davantage), que la matière (terme dont le vague est propice à souhait) persistent, cela semble vraiment une garantie que ce qui a été, est et continuera d’être, que « rien ne naît ni ne périt », qu’il « n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Quant au principe de Carnot et à la démonstration de l’irréversibilité qui en fait le fond, ils sont généralement ou passés sous silence ou « expliqués » de manière à rétablir l’identité[2]. On

  1. Carnot se trouve entre autres cité comme autorité par Helmholtz dans son célèbre travail de 1847 sur la conservation de l’énergie (Wisssenschaftliche Abhandlungen, p. 17).
  2. On trouvera un exemple très caractéristique de cette tendance dans les Énigmes de l’univers de M. Haeckel (p. 283-284). « Si cette théorie de